Abdelkader Guermaz
Abdelkader Guermaz (Algérie 1919 - Paris 1996)
Peintre non figuratif algérien de la nouvelle École de Paris, l’aîné de la génération des fondateurs de l’art algérien moderne. Né à Mascara (Algérie) en 1919, il passe son enfance et son adolescence à Oran. Il manifeste très tôt le désir de devenir peintre, poète et critique d’art. De 1937 à 1940, il fréquente l’École des Beaux-Arts d’Oran, et participe à partir de 1941 à des expositions collectives à la galerie d’avant-garde Colline de Robert Martin. Il est rédacteur au journal Oran-Républicain et réalise à Mostaganem en 1960 une exposition personnelle à la galerie Sésame, ainsi qu’une fresque pour le Conseil Général.
En 1961, il arrive à Paris et s’y établit. Son œuvre y est présentée en 1962 et 1963 lors d’expositions collectives à la nouvelle galerie de Robert Martin, et lors d’une exposition personnelle en 1963 à la galerie Marie-Jacqueline Dumay. Tout au long des années 1960, il participe aux Salons parisiens. À Paris, Guermaz retrouve des peintres algériens ou européens d’Algérie qui l’y avaient précédé. Ses oeuvres côtoient celles de Benanteur, Bouqueton et Khadda à l’exposition Dix Peintres du Maghreb à la galerie Le Gouvernail en 1963, et à l’exposition Six Peintres du Maghreb en 1966 à la galerie Peintres du Monde.
Guermaz maintient le contact avec l’Algérie. Il devient en 1962 correspondant à Paris du journal La République d’Oran. Il participe en 1963 à l’exposition Peintres Algériens au Musée National des Beaux-Arts d’Alger, puis au Musée des arts décoratifs de Paris en 1964, qui réunit la grande majorité des peintres algériens contemporains ou européens originaires d’Algérie. Il est présent à Alger aux Salons de l’UNAP de 1964 et de 1974, de même qu’en 1964 à la Galerie 54 dirigée par Jean Sénac, à l’exposition Reflets et Promesses de la Galerie de l’UNAP en 1966, et à l’exposition Peinture Algérienne Contemporaine du Palais de la Culture à Alger en 1986.
Au début des années 1970, Guermaz continue d’affirmer sa présence dans les Salons parisiens et est invité en 1971 à exposer ses œuvres à l’Orangerie du Luxembourg, en compagnie de six jeunes artistes. A Paris, il sera soutenu pendant 10 ans par la galerie Entremonde : après une exposition collective en 1973, il y réalisera sept expositions personnelles de 1974 à 1981. Ces manifestations lui permettent d’acquérir une réputation internationale. Il est invité à participer au Salon des Arts Plastiques de Tokyo en 1972, à l’Exposition internationale des Arts de Téhéran en 1974, à l’exposition Art Arabe Contemporain de Tunis en 1980. Il est présent à Londres en 1981 et, la même année, il crée des cartons de tapisserie pour l’aéroport de Riyad.
La fermeture de la galerie Entremonde en 1981 le prive de l’appui et de la visibilité dont il avait bénéficié. Guermaz conduira ses recherches en solitaire et continuera à faire évoluer son œuvre, soutenu par ses collectionneurs. Il meurt à Paris le 9 août 1996.
L’œuvre de Guermaz
À sa sortie de l’École des Beaux-Arts d’Oran, Guermaz partage, dans les années 1940 et jusqu’au milieu des années 1950, la conception de ses amis « les Peintres de la Réalité Poétique », dont Maurice Brianchon fut le chef de file. Dans une période attachée à l’ordre, cette conception privilégie le retour au réel et à la figuration, mais un réel transfiguré par la poésie. Les sujets de prédilection de Guermaz sont alors des scènes d’extérieur (la plage en été, la rue, les marchés animés, les escaliers inondés de soleil, les villages aux murs blanchis couronnés de terrasses), mais il excelle aussi dans les scènes d’intérieur et les natures mortes. Il y fait preuve d’une solide construction et d’un harmonieux équilibre des couleurs.
Dès 1955, Guermaz s’oriente vers l’abstraction, comme d’autres peintres algériens de sa génération, attentifs à l’évolution de la peinture parisienne. L’abstraction est le seul langage qui leur permet de retrouver leurs propres racines. Alliant tradition et modernité, l’abstraction a aussi une valeur d’engagement pour la liberté. Guermaz devient l’un des acteurs du mouvement abstrait algérien. La grande fresque abstraite qu’il réalise à Mostaganem en 1961 est le témoignage de sa nouvelle orientation, qui trouve un prolongement dans ses premières œuvres parisiennes.
Il s’éloigne de la représentation du monde pour mieux être à son unisson et mieux exprimer, avec les seules ressources du vocabulaire plastique (lignes, formes, couleurs) ses états d’âme et l’étendue des sensations et des émotions qu’il éprouve à son contact. Dans un réseau de verticales et d’horizontales, dont le noir renforce la structure, il insère une infinité de taches de couleur. Chaudes comme le rouge, le jaune et l’orangé, froides comme le bleu, elles donnent du relief à l’espace à deux dimensions et créent une atmosphère de grande poésie.
Au terme des années 1960, une nouvelle orientation se fait jour dans la peinture de Guermaz. S’il reste fidèle à l’abstraction, il aspire désormais à un certain dépouillement. Le blanc se substitue peu à peu à la couleur, qui devient presque sous-jacente à la couche picturale. Le traitement de la matière picturale, tout en vibrations, contribue tout entier à l’élaboration de la forme. Son œuvre prend alors un caractère contemplatif tout à fait prémonitoire. Imprégné de culture occidentale, Guermaz est resté un oriental et, comme on l’a observé chez de nombreux artistes et écrivains maghrébins, se révèle en lui une prédisposition au mysticisme. Son pouvoir créateur prend alors sa source dans la méditation.
Les premières œuvres de cette période sont uniformément blanches, puis des signes colorés surgissent de ce vide originel et viennent peu à peu le peupler. Des taches de couleur isolées, qui forment ensuite de petits ensembles qui contrastent avec le fond blanc, des plans apparaissent où prennent place des reliefs qui s’ouvrent sur l’horizon du ciel. Ces compositions sont devenues des « paysages ». Lieux de mémoire ou lieux « mythiques » où se trouve inscrite, son identité culturelle, dans un lointain passé, ces paysages sont le témoignage des premiers pas qu’il accomplit sur la voie de la sagesse. Ils sont de nature symbolique.
Guermaz célèbre l’unité de la matière et de l’esprit, mais l’esprit est bien ce qu’il aspire à retrouver en lui. Peu à peu ses « paysages » s’épurent et les ensembles colorés se font plus rares. Un univers de roches mises à nu se dévoile et s’ouvre de proche en proche vers l’infini. Cet univers minéral, sans limites, est bien une métaphore de ce que l’on a appelé le « désert intérieur ». Dans ses œuvres les plus intériorisées des années 1980, il parvient encore à un plus haut degré d’abstraction. Sous le voile léger d’un blanc « cristallin » ou d’un gris bleuté de certaines toiles, il semble déjà percevoir l’espace « cosmique ».
Certes, Guermaz ne s’est pas interdit de traduire dans son œuvre d’autres états d’âme que la sérénité, d’avoir d’autres sujets d’inspiration et d’avoir recours dans ses huiles, ses aquarelles, ses pastels, ses gravures et ses encres, à autant de vocabulaires plastiques, de choix de formes, de couleurs et de matières que son goût de la recherche et le plaisir de peindre lui ont suggérés. Mais son projet pictural se confond bien, pour l’essentiel, avec sa démarche spirituelle.
Collections publiques :
Musée National des Beaux-Arts, Alger
Fonds National d’Art Contemporain, Paris
Fonds Municipal d’Art Contemporain, Paris
Institut du monde arabe, Paris
Barjeel Art Foundation, Sharjah, UAE
Extraits de presse :
Jean-Jacques Lévêque. S’il fut un observateur attentif du monde, Guermaz a su progressivement se libérer du poids des choses, dépasser le jeu des formes, des apparences, pour recueillir ce qui est au cœur des choses, choisir l’esprit du concret. Mais ses œuvres n’en ont jamais pour autant perdu leur saveur, cette véracité qui fait le regard toujours complice des choses avec lesquelles il entre en contact ». (Préface de l’exposition Six Peintres du Maghreb, Galerie Peintres du Monde, Paris, 1966).
Rêva Remy. Quel recueillement, quel silence contemplatif dans les œuvres de Guermaz. Ses nouvelles toiles nous prouvent son cheminement intérieur, depuis les peintures aux ardences volontaires qui étaient un hymne à la réalité coutumière. À présent, l’artiste semble avoir pris de l’altitude avec ses chants aux sonorités blanches. (vers 1970).
Jean-Marie Dunoyer. Poète, Guermaz, qui se manifeste depuis un quart de siècle, peut être considéré comme un initié de l’ésotérisme, et sa peinture dans une double démarche ne décrit pas seulement une ascension vers la sereine solitude (ainsi s’appelle une de ses grandes toiles) : elle est elle-même cette pacifique conquête du cosmos. (Les Contemplations, dans Le Monde, Paris, 17 janvier 1976).
Alain Bosquet. Les peintres du mystère exigent une entrée payante dans ce mystère : des clefs, une conception bien calculée, des hantises, une échelle de valeurs. Les peintres de l’évidence, eux, se contentent de plier cette évidence à leur tempérament : elle reste une évidence ou si on préfère, un élément parfaitement articulé en dehors de l’œuvre. L’exceptionnel, chez Guermaz, est qu’il concilie mystère et évidence : il rend le mystère familier sans avoir à l’apprivoiser par la contrainte. (Le Mystère familier de Guermaz, dépliant de la galerie Entremonde, Paris, janvier 1977).
Jean-Marie Dunoyer. De Guermaz, qui se produit chaque année à la galerie Entremonde, on retiendra au premier chef une vaste toile qui s’appelle Blanc de volupté. À l’extrême pointe du dépouillement, sa quasi monochromie nacrée recouvre une scrupuleuse structure interne et parvient à donner un envahissant sentiment de plénitude - état auquel tend d’ailleurs la constante modération de Guermaz. (Les Anciens et les Modernes, Le Monde, Paris, 20-21 janvier 1980).
Roger Dadoun. Peintre du Transfini (selon l’expression de Verdiglione), Guermaz, avec la virtuosité sereine d’un Maître du Zen (ses toutes petites toiles sont des mandala !) trace ses sentiers de méditation sur d’immenses plages d’univers - Minutes de sable mémorial. (Guermaz, dans La Quinzaine littéraire, no 318, Paris, 1-15 février 1980).
Michel-Georges Bernard. Dépassant les apparences dont il refuse de se faire le reflet passif, ne se satisfaisant pas davantage de gesticulations narcissiques, évitant les pièges du plaisir décevant que procurent les seules harmonies décoratives, c’est dans une expérience spirituelle que son travail propose d’entrer. Les visions neuves qu’invente Guermaz comme autant de haltes au long de son Voyage au pays de la lumière conduisent à l’interrogation sensible de la réalité même du réel, engagent dans la quête la plus radicale de son irréductible Il y a. (Guermaz, Voyage au pays de la lumière, dans Algérie Littérature / Action, no 49-50, Marsa Éditions, Paris, mars-avril 2001).
Yasmina Khadra. Vivants, les artistes habitent le cœur et l’esprit. Morts, ils ressuscitent dans nos mémoires. Guermaz est cet artiste qui nous manque à chaque fois que notre cœur perd de vue notre esprit. (Hommage à Guermaz, Centre Culturel Algérien, Paris, 2009.
Publications disponibles :
Pierre Rey, Guermaz, peintre du silence et de la lumière, Paris, 2009.
Collectif, Guermaz. Textes de Pierre Rey, Michel-Georges Bernard et Roger Dadoun, Le livre d’art, Paris, 2009.