Adonis
ADONIS (Syria, 1930 - Lebanon-France)
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Claude Lemand :
« Adonis est non seulement le plus grand poète arabe vivant, mais aussi un plasticien qui crée depuis trente ans une abondante production d’œuvres d’art qu’il désigne du nom générique de raqîma (tablettes) : il écrit sur du papier ou du bois des poèmes de la grande tradition arabe, dont il est le plus grand connaisseur et héritier, et colle sur ces manuscrits de petits objets ramassés au cours de ses incessants voyages à travers le monde.
Adonis est conscient d’appartenir en cela à une tradition européenne (William Blake, 1757-1827) et surtout française de grands poètes tels que Victor Hugo (1802-1885), Henri Michaux (1899-1984), les surréalistes, Alain Jouffroy (1928-2015), … sans oublier Khalil Gibran (1983-1931), qui ont eu une pratique artistique (peinture, dessin, collage, photographie, …) reconnue par les collectionneurs et les musées. Pour Adonis, cette reconnaissance n’est plus à ses débuts et je suis heureux d’avoir été parmi les premiers à y contribuer, depuis les premières acquisitions du British Museum en 2006, jusqu’à la Donation Claude & France Lemand de 31 tablettes au Musée de l’Institut du monde arabe en juin 2018.
Alain Jouffroy avait écrit en 2000 une magistrale étude sur Les collages d’Adonis : Autoportraits du multiple, à l’occasion de la grande exposition que l’IMA lui avait consacrée : Adonis. Un poète dans le monde d’aujourd’hui, 1950-2000. Depuis, une multitude de publications ont accompagné ses expositions personnelles à Paris, Dubaï, Manama, Abu Dhabi, Londres, Mexico, Italie … et en Chine, où il a acquis une double notoriété incontestable. »
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Alain Jouffroy :
« Adonis ramasse de petits objets partout où il passe, des bouts de bois, des pierres, des lambeaux de tissu, de papier ou de chiffon, ou des fragments non codés du réel ordinaire. Cette méthode de cueillette hasardeuse de ce que, d’habitude, on ne regarde pas, mais que lui remarque, rassemble dans des sacs de voyage, afin de les revoir plus tard, fait songer aux collages « merz » de Kurt Schwitters.
Comme ces artistes, Adonis réconcilie deux choses que le dualisme occidental sépare encore : l’art et le non-art, le sens et le non-sens, le visible et l’invisible. Adonis ne se contente pas d’assembler ses objets trouvés, comme le font tant d’assemblagistes. Ces objets, superposés à des calligraphies, forment des figures, des silhouettes humaines par exemple, ou des animaux, réels ou imaginaires, ou des architectures, des portes, des fenêtres, des stèles, des maisons ou des monuments.
Tous ses collages ne sont-ils pas des autoportraits fictifs ? Leur format est celui d’un miroir personnel. Mais au lieu de s’y reconnaître comme unique, Adonis s’y reconnaît comme multiple. Il y est, tour à tour, danseur de corde ou combattant, lanceur de cerfs-volants ou orateur, méditatif, contemplatif, interrogatif ou masqué. Mais aussi : oiseau, hippocampe, insecte, cheval ou presque-cheval, ours ou presque-ours. Mais encore : porteur de livre, ou amoureux devant son amour. Tout cela successivement, alternativement, sans jamais s’identifier de manière définitive à aucune de ces figures, passant de l’une à l’autre comme un acteur qui jouerait tous les rôles, y compris celui du personnage immobile et taciturne. Mais toujours placés devant un texte : le texte infini des autres, source de tous les textes présents et futurs. » (Alain Jouffroy, Les collages d’Adonis : Autoportraits du multiple. Catalogue Adonis, IMA, 2000).