François Sargologo
François SARGOLOGO (Liban, 1955-France)
François Sargologo est un artiste plasticien d’origine libanaise basé en France. Sa pratique interroge principalement différents aspects de l’identité, de l’exil, des questions introspectives et sociales en se concentrant presque exclusivement sur sa ville natale de Beyrouth. La combinaison de la photographie, du texte et du matériel d’archives impulsent la base de son processus créatif dans les possibilités esthétiques de sa pratique. Son travail fait partie des collections privées et publiques.
En tant que directeur artistique, il a également conçu différentes collections de livres pour des éditeurs tels que Le Seuil, les Presses Universitaires de France (France), la Fondation Bodmer Museum en Suisse, …
Lauréat du ‘European Print Award of Excellence’ par Print Magazine for Progress, un livre d’artistes (Grande Bretagne), il a également été publié dans des magazines de design tels que ‘Étapes Graphiques’ (France) et ‘Page Magazine’ (Allemagne).
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Au-delà de la mer.
Ensemble 16 oeuvres composées chacune d’une photo et d’un texte de l’artiste. Première exposition à la Galerie Janine Rubeiz, Beyrouth, Liban.
Ari Akkermans
Sargologo nous montre un répertoire visuel qui rend le monde compréhensible à travers le souffle terrifiant des guerres libanaises du xxe siècle, précisément par contournement du code esthétique de la photographie de guerre où l’épicentre est émotionnel et le champ de vision limité.
Au-delà de la mer est une lamentation lyrique sur la syntaxe visuelle d’une ville qu’il ne tente pas de recréer, mais dont il essaie simplement de mettre en évidence les qualités essentielles. Ce n’est pas la nostalgie du deuil mais de quelque chose qui circule, vivant et présent. Les photographies prises à Beyrouth dans les années 1980 ont été perdues puis retrouvées et détruites de leur environnement de mémoire, avant d’être reconstituées non pas comme continuité, mais de manière voyeuriste : de simples aperçus accompagnés de textes écrits trente ans plus tard. Les images oscillantes ne nous frappent pas comme un art pop ou une archive. Elles sont une invitation décontractée au bonheur et à ne pas se livrer à la distance de la ruine physique. Elles sont proches et chaleureuses. Pourtant, elles sont très loin. Leur pouvoir réside dans l’impossibilité de devenir réelles maintenant.
Quelque chose de familier émerge dans le travail de Sargologo. Les tables basses derrière lesquelles les parents disparus étaient attendus. Les photos de famille de ceux qui ne sont jamais revenus. Un jardin levantin vierge abandonné quand des familles entières quittent le Liban pour ne jamais revenir. Mais les fruits sont toujours sur la table, les arbres sont encore en fleurs. Ses lieux sont plus réels et tangibles que les champs de bataille. Ces lieux existent encore dans les débris à partir desquels un collectif est reproposé et rendu compréhensible. La distance émotionnelle des images atteste du fait qu’elles ont été fouillées et présentées comme des objets autonomes avec des significations sourdes. Les textes sont poétiques, mais candides, presque invisibles, d’un monde fantôme. Mais ils sont limpides comme le lieu du bonheur.
Sargologo joue avec l’imaginaire apocalyptique au sens traditionnel - un univers symbolique qui codifie une interprétation de la réalité menant vers un autre monde ; les images ne sont pas laissées seules pour parler par elles-mêmes. Dans ce monde parallèle, le ciel descend sur la terre et, à son tour, la terre monte dans un enfer. Le projet de l’histoire est intercepté par la logique grossière du présent, dans laquelle le sentier des contradictions s’implose en une substance visqueuse hétérogène. Dans les mots de Benjamin, « l’histoire est l’objet d’une construction dont le site n’est pas homogène, le temps vide, mais le temps rempli par le temps présent ». Face au choix binaire entre histoire et liberté, les artistes choisissent ce dernier et permettent à l’histoire de s’effondrer sous son propre toit, au détriment de la libération des pouvoirs critiques de la vérité.
Contrairement à la photographie de guerre, Sargologo ne cherche pas des images morales capables de susciter des réactions explicites – la peur, la terreur, le dégoût, la douleur, l’horreur – mais plutôt des singularités ; indéfini, lâche, étouffé. L’irrédentisme est un lieu commun dans son travail et, en se moquant de la possibilité d’images rédemptrices, il se place au bord du rire. Un rire qui n’est ni comique ni sinistre, mais une affirmation cristalline de la nécessité de vivre sans illusions, au bord d’un volcan, transformant tout cela en quelque chose de merveilleux et déchirant. Comme le disait Jacques Derrida, en parlant de son amie, feu Sarah Kofman : « Ce rayon de lumière vivante concerne l’absence de salut, par un art et un rire qui, tout en ne promettant ni résurrection ni rédemption, demeurent néanmoins nécessaires.
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Beyrouth Empire.
Ensemble de 24 photomontages.
Première exposition à la Galerie Janine Rubeiz, Beyrouth, Liban.
Beyrouth Empire est une métaphore onirique qui invite à un voyage levantin dans une époque improbable. Inspiré des Sunduq al-Aja’ib, Sargologo nous transporte au seuil du cosmos, dans une temporalité du paradoxe aux abords d’un trou noir où tout peut basculer.
Grégory Buchakjian
Ce ne sont ni Ingres ni les maîtres italiens de la Renaissance que François Sargologo avait en tête, lorsqu’il entreprit les ébauches de la série qui allait devenir Beyrouth Empire, mais plutôt un maître italien du cinéma, Federico Fellini et plus précisément sa Strada, qui dépeint la tragédie de l’Italie d’après-guerre à travers le prisme de l’errance de saltimbanques . Ce regard sur l’humanité en détresse incita Sargologo à introduire dans ses compositions des figures, aussi bien de bateleurs et acrobates, mais aussi de portraits de familles trouvés dans ses archives.
Dans une des compositions, campée sur un bord de mer au-dessus duquel flotte une lune, un ange aux airs de gros poupon renvoie à un autre film du cinéaste, La Nave va. Dans cette même composition, le positionnement de la lune, dont on ne sait plus si elle est convexe ou concave, dans le disque du tondo, donne à l’ensemble une ressemblance avec la « Death Star » qui fait régner la terreur dans Star Wars ; une référence non volontaire, mais bienvenue. Non seulement parce que cette structure létale est l’œuvre d’un Empire intergalactique, mais aussi parce que la série cinématographique créée par Georges Lucas regorge elle-même de figures burlesques et clownesques.
Or Sargologo construisait son propre empire, un empire de la genèse et de l’écroulement de Beyrouth, en puisant dans les mondes étranges des légendes et des histoires orales véhiculées par les hakawati - conteurs. Sa quête le mena au sunduq al-aja’ib ou sunduq al-furja, ou boîte à merveilles. Cette forme archaïque de cinéma ou d’image animée était un compartiment à l’intérieur duquel l’œil du regardeur, le plus souvent un enfant émerveillé, plongeait les yeux pour voir se dérouler une scène en mouvement racontant une épopée .