Halida Boughriet

Halida BOUGHRIET (France, 1980)

A grad­uate from the Ecole Nationale Superieure des Beaux-Arts in Paris and the Exchange Program of the SVA New York in cin­e­matog­raphy, Halida Boughriet is a French and Algerian artist. She’s used to explore a broad media range and does make per­for­mance a cen­tral issue to her artistic expres­sion, through varied ele­ments, ref­er­ences and tools. At the cross­road of aes­thetic, polit­ical and social con­cerns, her pro­duc­tions strive to cap­ture and trans­late ten­sions made obvious in human rela­tion­ships and society, in some given his­tor­ical and social con­text, including the emo­tions con­veyed in indi­vidual and col­lec­tive memory. The omnipres­ence of human bodies is an essen­tial aspect of her poet­ical/exper­i­mental work.

Some of her pieces are now to be found in the col­lec­tion Nouveau Media of the Centre Pompidou (Paris), the MAC/VAL Museum (Musée d’Art con­tem­po­rain du Val de Marne, France), MAMA (Algiers, Algeria) and Museum of the Institut du monde arabe (Donation Claude & France Lemand), Paris.

Her works were also shown in sev­eral exhi­bi­tions, including Elles@centrepompidou, the FIAC in Algiers in 2011, or the art show Le corps décou­vert held at the IMA in 2012 and in 2020 in the exhi­bi­tion Photos and videos of the Lemand Donation. In 2013, Halida also per­formed with her instal­la­tion Chapelle video #4 at the Art and History museum in Saint-Denis. More recently she was part of the event Video et Après back at the Centre Pompidou, and of the International Biennale de Dak’art in Senegal. In 2015, she’s been rep­re­sented at the Rencontres Internationales Paris/Berlin/Madrid, and in the Biennale de Rabat in 2019.
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Mémoire dans l’oubli, 2010-2011. Serie of 6 pho­togra­phies. Printed on Fine Art paper mounted on Dibond, 120 x 180 cm. Signed and num­bered by the artist. Edition of 5 + 2 AP.

Fanny Gillet.
La scène s’ouvre ainsi : allongées sur une ban­quette, des femmes que la pesan­teur de l’âge a douce­ment assoupies s’offrent à notre regard. Le corps féminin, cet objet de délit, de pudeur ou de fan­tasmes. Mais surtout, le corps de l’ailleurs, de cet « Orient » loin­tain qu’une lumière dense néces­saire­ment domes­tiquée vient baigner. Dans la série Mémoire dans l’oubli, Halida Boughriet réin­tro­duit cer­taines des typolo­gies dif­fusées par la pein­ture ori­en­tal­iste pour mieux en décon­struire la mythologie. L’imagerie figée et idéal­isée du quo­ti­dien cède à la banalité d’un intérieur que la présence vient à peine trou­bler, comme un écho à la mémoire de ces veuves algéri­ennes, témoins anonymes de la guerre d’indépen­dance. C’est en posant un regard empli de sen­si­bilité que Halida Boughriet parvient à restituer la con­di­tion humaine de ces corps poli­tiques.

Émilie Goudal, his­to­ri­enne de l’art.
Cette série utilise également le principe du détourne­ment. Le référent esthé­tique ori­en­tal­iste de l’odal­isque est alors décon­struit pour trans­former le corps-objet de l’imag­i­naire colo­nial en sujet social actif et reven­di­catif. Des anci­ennes moud­jahi­dates sont pho­tographiées assoupies sur le sofa d’un salon con­tem­po­rain de style ori­ental. Ces femmes âgées, mon­trées dans le con­fine­ment d’un intérieur domes­tique, con­ser­vent un savoir mémoriel dont la présence est matéri­al­isée par la lumière nim­bant les con­tours de leurs vis­ages. Elles sem­blent ici dans l’attente d’être animées avant que le temps n’enferme à tout jamais une parole restée dans l’antichambre de l’his­toire. Le poids du regard artis­tique mas­culin con­struit en période colo­niale a fixé dans une posi­tion las­cive ces femmes algéri­ennes, assignées tout à la fois à une métonymie d’un ter­ri­toire à con­quérir, au con­fine­ment et au silence par la néga­tion sur le long terme de leur accès même à la parole et de leur engage­ment dans le monde social. Dans ces oeu­vres, l’esthé­tique ori­en­tal­iste et le référent colo­nial attachés à la figure féminine algéri­enne sem­blent néces­saires à exor­ciser pour entrer dans l’his­toire sociale du pays à travers des fig­ures de passeuses de témoin, d’admoni­trices, silen­ciées.

Halida Boughriet.
Cette approche esthé­tique devient un rituel et un acte de représen­ta­tion. C’est une approche cri­tique de l’ori­en­tal­isme, insé­parable de la réalité et de son human­isme, con­traire­ment aux représen­ta­tions ori­en­tal­istes qui ne voy­aient pas l’humain et qui se préoc­cu­paient surtout de leurs pro­pres pro­jec­tions et de leur désir.

Ces pho­togra­phies font partie d’une série de por­traits de veuves ayant subi les vio­lences de la guerre en Algérie. Ces femmes dans les por­traits représen­tent une mémoire col­lec­tive : ce sont les derniers témoins. Cependant, quand on évoque la guerre en Algérie, on n’y pense jamais, prin­ci­pale­ment parce que ni l’his­toire offi­cielle ni l’imag­i­na­tion pop­u­laire de la guerre ne les inclut ou très peu. Et pour­tant, ces veuves fai­saient vrai­ment partie de cette his­toire et de cette guerre : elles ont souf­fert, résisté, perdu leurs maris. Cette série a con­tribué à les réin­té­grer comme une part impor­tante de l’his­toire, elle con­stitue aujourd’hui des archives.

De plus, je les ai trans­for­mées en sujet pho­tographique, en réap­pro­priant la sur­face de l’image. La lumière est très impor­tante pour mon tra­vail dans ces por­traits, même si je m’intéresse évidemment aux vis­ages de ces femmes - la lumière et la couleur aident à attirer l’atten­tion sur les pro­fondeurs de l’his­toire écrite sur leurs corps et sur les silences qui les entourent. Je les ai toutes pho­tographiées dans la même posi­tion : couchées sur le côté, avec une sorte d’aura (la lumière du Maghreb / La lumière en est un autre fonde­ment : l’image se fait tableau, les corps sculp­tures) qui les envahit, dans un espace rel­a­tive­ment sombre. Appropriation d’une lumière nou­velle et de couleurs inédites dans leur organ­i­sa­tion.

Je me suis inspirée ici des pein­tures ori­en­tal­istes, d’Ingres, de Fragonard, …. J’aime le con­traste entre la sen­su­alité inversée, la las­civité de leur pos­ture et l’apparence cré­pus­cu­laire de la pièce. Le halo me rap­pelle des sculp­tures de Bernini. Mon tra­vail est une sorte de réin­ter­pré­ta­tion des «grands maîtres» de l’Europe qui ont écrit nos corps dans l’imag­i­naire «occi­dental». Je définis l’ori­en­tal­isme et m’oppose rad­i­cale­ment à cette inter­pré­ta­tion. Les scènes ori­en­tal­istes habituelles s’attachent à l’exo­tisme de la vie intime des harems, aux guer­riers héroïques, aux villes d’un monde mythique que l’on redé­couvre. Tout cela est inter­prété et idéalisé à travers la vision occi­den­tale de l’époque. Aussi, ces pein­tres ten­tent d’opérer une fusion contre-nature : allier le réel à l’imag­i­naire, ce qui donne un kitsch exo­tique, une forme de pit­toresque sans fron­tières.

Copyright © Galerie Claude Lemand 2012.

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