Khaled Dawwa

Khaled DAWWA (Syrie-France, né en 1985)

Né en 1985 à Misyaf, nord-ouest de la Syrie, Khaled Dawwa est diplômé des Beaux-Arts de Damas en 2007, sec­tion Sculpture. Dans son projet de diplôme, inti­tulé « L’Attente », appa­rais­saient déjà en esquisse les per­son­na­ges qui vont domi­ner son tra­vail artis­ti­que ulté­rieur. On y sent aussi l’impor­tance des thèmes socio-poli­ti­ques à venir, sous la forme d’une dua­lité oppo­sant le Peuple à le Pouvoir.

Dans le contexte actuel des grands chan­ge­ments sociaux et poli­ti­ques que vivent les pays arabes, y com­pris la Syrie, Khaled Dawwa ne cesse de réflé­chir sur le rôle et l’impact de l’art sur la vie des gens. Il sou­haite que les thèmes de ses œuvres, uti­li­sant des tech­ni­ques sim­ples et par­fois tra­di­tion­nel­les, inter­pel­lent le public arabe et pro­vo­quent une réac­tion.

Début 2011, Khaled Dawwa par­ti­cipe acti­ve­ment à la créa­tion et la mise en œuvre à Damas de l’ate­lier Al-Boustan, mais en 2013 il se trouve obligé de fuir vers le Liban. Il y pour­suit son acti­vité artis­ti­que et expose son tra­vail sur sa page Facebook (Clay&Knife).

Fin 2014, il s’ins­talle en France où il reprend une acti­vité publi­que, au-delà de l’espace vir­tuel. Il conti­nue à abor­der ses thèmes socio-poli­ti­ques, mais dans une vision plus glo­bale, comme le mon­trent ses expo­si­tions per­son­nel­les « Compressé » (2015) et « Debout ! » (2017). Il par­ti­cipe aussi à des expo­si­tions col­lec­ti­ves en France et en Europe.
Khaled Dawwa quitte Marseille et s’établit à Paris ; il y ins­talle un ate­lier de sculp­ture.
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ARTE. Documentaire :

Khaled Dawwa, sculpteur syrien en exil.

Parmi les mil­liers de syriens réfu­giés en Europe, des artis­tes en exil conti­nuent de créer. Depuis un an Khaled Dawwa vit à Marseille après avoir fui la répres­sion du régime de Bachar al-Assad. Ses sculp­tu­res en argile témoi­gnent du sort de tout un peuple, l’hor­reur de la répres­sion et des pri­sons syrien­nes. Portrait d’un artiste réfu­gié poli­ti­que qui, malgré l’exil et les souf­fran­ces, pour­suit son tra­vail de créa­tion...
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Debout !

La col­lec­tion Debout ! résulte du séjour de Khaled Dawwa en rési­dence artis­ti­que à Saint-Quentin-la-Poterie, dans le Gard. Elle a été pré­sen­tée dans le cadre d’une expo­si­tion lors du fes­ti­val euro­péen des arts céra­mi­ques qui s’est tenu en juillet 2017 dans cette même com­mune. La col­lec­tion se com­pose de 12 pièces d’argile colo­rée, qui est trai­tée avec de la cire tein­tée. Chacune inclut deux éléments fon­da­men­taux : le fau­teuil et le per­son­nage. Celui-ci est sculpté assis d’une manière sug­gé­rant qu’il lui est impos­si­ble de se lever. Il semble épuisé et adhère au fau­teuil jusqu’à fusion­ner avec lui.

Debout ! com­porte des dimen­sions poli­ti­ques et socia­les. Le titre laisse place à l’inter­pré­ta­tion. Dans ces œuvres, Khaled Dawwa tente d’expo­ser les pou­voirs de tous genres à ceux qui sont inhé­rents à chaque être humain. Il dénonce également l’impasse dans laquelle chacun vit face à ce qui l’entoure, et le silence qui fait de lui un com­plice de la conti­nua­tion de cette réa­lité. Il pour­suit son tra­vail sur cette col­lec­tion par le biais d’autres sculp­tu­res qui incluent de nou­veaux éléments outre le per­son­nage et le fau­teuil.

Khaled Dawwa. « Debout (Le Roi des Trous) »
Une ins­tal­la­tion-monu­ment détonne sur le Socle. Un tyran non pas dans la gloire, mais en route vers la déchéance par son corps massif. La dénon­cia­tion des poten­tats de toutes espè­ces, par un sculp­teur syrien, exilé en France. Vernissage 25 juin 2021.
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Jean Deuzèmes. Site : www.voir-et-dire.net

L’artiste syrien Khaled Dawwa, né en 1985, réfu­gié poli­ti­que en France depuis 2014, occupe une place cen­trale parmi les plas­ti­ciens venus de ce pays. Avec ses hommes ven­tri­po­tents iner­tes, assis dans leur fau­teuil, il parle du pou­voir absolu et des­truc­teur, celui qui est à l’ori­gine de ses pro­pres bles­su­res, de son empri­son­ne­ment, puis de sa fuite pour la France. Mais ce n’est pas seu­le­ment la situa­tion syrienne, l’actua­lité poli­ti­que de son pays ou les métho­des de des­truc­tion qu’il évoque. En agré­men­tant ses per­son­na­ges de chiens, de barils d’explo­sifs, d’urnes électorales, il sym­bo­lise celui qu’il appelle « lui », le Pouvoir.

Les sta­tuet­tes qu’il a déjà réa­li­sées, regrou­pées sous le nom de série « Debout », sont bien connues et cons­ti­tuent le cœur de son compte Facebook « Clay & Knife », « la terre et le cou­teau », son maté­riau et son outil de sculp­teur.

Les trous dans la peau de son per­son­nage signi­fient la des­truc­tion à venir de l’oppres­seur, la mort de sa poli­ti­que. Mais quand ? Telle est la ques­tion que pose cette œuvre mani­feste.

Invité par le col­lec­tif 6M3 à ins­tal­ler sur Le Socle une statue de cette série, de juin à sep­tem­bre 2021, l’artiste a changé à la fois d’échelle et de maté­riau (mousse expan­sive et plâtre) pour en faire une sta­tuaire publi­que, mais dans le même esprit que les sta­tuet­tes. Avec un per­son­nage de 3,5m de hau­teur, la force sym­bo­li­que est redou­blée et l’artiste renoue avec la tra­di­tion qu’il avait détour­née au début de sa série. Son œuvre poli­ti­que, ini­tia­le­ment des­ti­née à des espa­ces inti­mes ou de gale­rie, sort désor­mais sur l’espace public.

Khaled Dawwa est un sculp­teur qui parle en per­ma­nence, mais sous de mul­ti­ples formes, de la Syrie mar­ty­ri­sée et de son peuple. Ainsi pour l’expo­si­tion en cours à la Cité Internationale des arts, il a créé la maquette d’un mor­ceau de cité détruite (dans un des quar­tiers de La Ghouta, au nord de Damas), « Voici mon cœur ! » : un auto­por­trait inté­rieur impres­sion­nant et beau.
Avec « Debout (Le Roi des Trous) », il reste dans la monu­men­ta­lité.

Dans l’his­toire de l’art, la sta­tuaire, en bronze ou en pierre, donne un carac­tère d’immor­ta­lité aux hommes poli­ti­ques, notam­ment les rois et empe­reurs. En les conce­vant pour l’espace public, les artis­tes cher­chent à expri­mer leurs qua­li­tés par des pos­tu­res et des habits les plus divers : debout, à cheval, assis, en mou­ve­ment, avec un appa­rat signi­fi­ca­tif. Le trai­te­ment des visa­ges exprime des carac­tè­res, incarne des valeurs et par­fois vise à sus­ci­ter l’admi­ra­tion, l’adhé­sion, voire dans les régi­mes tota­li­tai­res exige la sou­mis­sion. En effet, la com­mande publi­que des sta­tues a sou­vent à voir avec l’expres­sion de la puis­sance, du pou­voir, voire de la tyran­nie.

Quand l’his­toire se retourne, on met sym­bo­li­que­ment en scène le ren­ver­se­ment par celui des sta­tues. Ainsi en 2003, le débou­lon­ne­ment de celle de Saddam Hussein par des Irakiens, lar­ge­ment assis­tés par les Marines amé­ri­cains est une séquence ciné­ma­to­gra­phi­que connue. Le Parc des Arts Muzeon de Moscou est le célè­bre cime­tière des sta­tues de l’époque sovié­ti­que, dont celles de Staline.

Depuis plus de dix ans, la ques­tion des poten­tats est deve­nue très vive dans les pays arabes. Les artis­tes s’en sont saisis sous de mul­ti­ples médiums. Khaled Dawwa est un sculp­teur qui a une appro­che sin­gu­lière. Il exprime avec de l’argile sa soli­da­rité avec tous ceux qui souf­frent et reven­di­quent la liberté ; il signi­fie ce que la presse relate de son pays. Au tra­vers de « Debout », figure géné­ri­que dans ses sta­tuet­tes, il inter­prète de manière puis­sante la tyran­nie de Bachar-el-Assad, des­truc­teur de son propre pays, non pas seu­le­ment ce que lui et sa famille ont souf­fert jusqu’à l’exil, (voir courte vidéo d’Arte Khaled Dawwa, artiste syrien en exil), mais toutes les formes d’oppres­sion poli­ti­que, sociale, économique et reli­gieuse. Son per­son­nage devient un sym­bole uni­ver­sel. Il est LE POTENTAT.

Conçues en terre, son maté­riau de pré­di­lec­tion, ces sta­tuet­tes, de taille petite pour des rai­sons économiques, se trans­for­ment pro­gres­si­ve­ment : le bronze, et main­te­nant les maté­riaux mixtes et une grande échelle.
Mais le per­son­nage a tou­jours la même pos­ture : engoncé dans son siège, ven­tri­po­tent, impas­si­ble à tout et à tous ceux qui le regar­dent, avec un visage inex­pres­sif, les yeux dans le loin­tain, sem­blant là depuis des temps anciens. Ses bras sont appuyés sur les bras du fau­teuil, il semble ne faire qu’un avec lui. Son corps est écrasant, il écrase tout. Et il est fon­da­men­ta­le­ment seul.

Si la forme du sujet est une cons­tante, le trai­te­ment de la peau, du vête­ment, du siège en est une autre : les trous sont par­tout, ceux des vers, de l’érosion du temps, des corps vivants. La dégra­da­tion affecte tout : les bour­reaux comme les vic­ti­mes, les poten­tats comme les gens ordi­nai­res, les régi­mes dic­ta­to­riaux, mais aussi les régi­mes démo­cra­ti­ques si l’on n’y veille pas. Et bien sûr les ter­ri­toi­res en guerre, les murs mar­qués par les balles, les villes éventrées par les bombes.

Au lieu d’immor­ta­li­ser un per­son­nage par la sculp­ture, il signi­fie le pou­voir de la dégra­da­tion que le poten­tat ne peut extir­per, il fait même subir cette dégra­da­tion à ses sta­tuet­tes en les expo­sant aux intem­pé­ries, ce qui est le cas avec celle érigée sur le Socle.

« Debout (Le Roi des Trous ) » appar­tient à une série dont on ne connaît pas la fin. Son titre est un fac­teur d’unité, il est suivi d’un terme qui pré­cise le sens de l’objet. « Debout ! » pos­sède plu­sieurs sens pos­si­bles : l’oppo­si­tion phy­si­que au tyran effon­dré immua­ble dans son siège, un cri pro­tes­ta­taire de mani­fes­ta­tion, un appel à la dignité, mais aussi ce qu’a vécu l’artiste quand il était en prison dans une cel­lule sur-occu­pée où seule la pos­ture ver­ti­cale était pos­si­ble. « Le Roi des Trous » affirme que ce poten­tat cra­vaté est promis à la dis­pa­ri­tion, mais quand ?
Cette œuvre poli­ti­que grave, ancrée dans le tra­gi­que de l’his­toire, a les traits de la satire, de la pro­vo­ca­tion, de l’absurde comme dans « Ubu Roi », la pièce d’Alfred Jarry (1896), dont le per­son­nage a des traits phy­si­ques pro­ches. Mais l’œuvre de Khaled Dawwa n’est pas une farce, c’est une réa­lité uni­ver­selle, une invi­ta­tion à ne pas bais­ser les bras.

Dans La des­truc­ti­vité en œuvres. Essai sur l’art syrien contem­po­rain, Presses de l’IFPO, Beyrouth, mai 2021, Nibras Chehayed et Guillauyme de Vaulx d’Arcy ana­ly­sent avec une très grande finesse les tra­vaux de onze artis­tes syriens et appor­tent leur point de vue riche de réfé­ren­ces phi­lo­so­phi­ques sur les sta­tuet­tes de Khaled Dawwa.

1. Ainsi Khaled Dawwa demeure accro­ché par l’esprit à la Ghouta, un quar­tier nord de Damas qui fut l’un des pre­miers à se ral­lier à la Révolution, mais qui en 2018 est devenu un quar­tier martyr en s’écroulant sous les bom­bar­de­ments et les atta­ques chi­mi­ques. Il y repré­sente les pier­res, les esca­liers et ter­ras­ses, les loge­ments aux­quels il était atta­ché. Avec cette œuvre monu­men­tale qu’il ne cesse d’étendre en 2021, l’artiste ne vit pas dans la nos­tal­gie, mais il est encore dans l’ins­tant du choc, alors qu’il a pour­suivi sa vie ailleurs.

2. Les sta­tues de Henri IV sur le Pont Neuf ou de Louis XIV Place des Victoires à Paris sont bien connues. Celles de Napoléon par­sè­ment la France.

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