Ridha Zili
Ridha ZILI (Tunisie, 1943-2011)
La Tunisie de jadis. 30 Photographies.
Donation Claude & France Lemand 2018.
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Né à Monastir le 3 Juin 1943 et décédé le 17 Avril 2011 à Tunis.
En 1961, à l’âge de 18 ans, il travaille à la Société nationale d’édition et de distribution en tant qu’assistant du journaliste et photographe Pierre Olivier. En s’associant en 1967 à Mustafa Bouchoucha, ils créent le service photographie du ministère de la Culture tunisien ainsi que la Photothèque nationale. Toujours en 1967, il édite son premier livre de poésie, Ifrikya ma pensée, aux éditions Pierre-Jean Oswald. De 1969 à 2010, il participe à nombreuses expositions photographiques en Tunisie et à travers le monde (Égypte, Algérie, Hongrie, Allemagne, Maroc, Irak, Qatar, Canada, Espagne, Azerbaïdjan, Moldavie, Russie et Libye). Premier prix de photographie en 1985 et récipiendaire de l’ordre du mérite culturel en 1994.
Il est l’un de ces artistes photographes qui, par leur sensibilité et leur pensée, marquent une influence incontestable sur une partie de la vie artistique de leur temps. Son œuvre trouve ses qualités esthétiques et son pouvoir émotionnel dans un intimisme aux expressions intenses, en marge des règles de la nature, et dans un attachement ombilical aux choses et aux hommes de son terroir.
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Hatem Bourial, Le territoire envoûtant de nos nostalgies.
Préface du livre RIDHA ZILI, Tunisie. Portraits et métiers d’antan, Zili éditions, Tunis, 2018.
Sous le regard de Ridha ZILI, la palette tunisienne et ses trésors méconnus renaissent intacts. Comme s’ils étaient touchés par la grâce, les gestes et les visages semblent pétris par la lumière, nimbés d’éternité.
Arpentant souks et campagnes, remontant le temps évanoui des médinas, le photographe fait revivre un passé proche, capture des instants fragiles, sublime l’œuvre des artisans et, surtout, retrouve cet immémorial indicible qui tisse la trame de la vie quotidienne.
Dans les oliveraies, les oasis ou la steppe, les paysans égrènent les travaux et les jours. Bergers aux pieds nus à l’ombre d’arbres centenaires et femmes aux prises avec le pain ancestral surgissent, irréductibles, comme s’ils vivaient en dehors du temps.
Guidant les poissons vers la nasse, les pêcheurs déroulent prestement leurs filets. Les embarcations et leurs techniques témoignent d’un héritage lointain, partagé par les peuples de la Méditerranée.
Ce sont mille et un visages, autant de gestes, de costumes ou de traditions qui reviennent en pleine lumière dans ce livre. A la confluence de l’esthétique et du documentaire, Ridha ZILI explore le territoire envoûtant de toutes nos nostalgies. Les virtuoses de l’argile façonnent les formes au gré de leur inspiration, les tisserandes créent leurs œuvres entre sobriété des matériaux et explosion des couleurs, menuisiers et fabricants de tamis perpétuent le fil des traditions.
Cet hymne aux artisans retentit sur fond de souks fébriles et de médinas apaisantes. Dans le dédale des ruelles se retrouvent aussi les petits métiers d’autrefois : marchand de lait sur sa bicyclette allant de maison en maison, revendeurs de pain chaud toujours à l’affût, porteurs d’eau et marchands d’épices, éboueurs et quincailliers …
Avec beaucoup de tendresse, Ridha ZILI retrouve ce tumulte intime de nos médinas. De Monastir au Cap Bon, de Sfax à Tunis, de Djerba au Sahel, ce sont des dizaines de bribes d’éternité qu’il capture.
Pour s’en convaincre, il suffit de feuilleter ce livre pour y retrouver le reflet auguste des burnous du sud, les haïks qui drapaient jadis les femmes tunisiennes, l’éclat incomparable des costumes des mariées et une somme éblouissante d’attitudes, de scènes ou de regards qui semblent sculptés dans la terre tunisienne.
Ces photographies de Ridha ZILI constituent une collection remarquable. Tranches de vie et mémoire populaire s’y conjuguent dans une exemplarité rarement atteinte. Ce témoignage sur une Tunisie à cheval entre les années soixante et quatre-vingt-dix du siècle écoulé nous plonge au creux d’un pays tutoyant la modernité, en pleine évolution.
Cela rend ces photographies d’autant plus précieuses. Car les médinas ancestrales qu’on y voit n’existent plus. Tout comme ces dizaines d’échoppes d’artisans emportés par la noria du temps qui s’écoule …
Seule demeure la Tunisie éternelle : cette continuité invisible qui brasse les héritages punique, latin, berbère et arabe et peut se nicher dans les volutes d’un drapé, la fibule d’une paysanne, la liesse des moissons, les bijoux d’une mariée ou le rouet d’une fileuse.
Ces œuvres de Ridha ZILI sont aussi un vibrant éloge des femmes tunisiennes. Dans les médinas et les champs, elles sont bien présentes, vivant symbole de ces millénaires enfouis dans nos mémoires.
A la gloire de l’olivier ou de la céramique de Nabeul, pour saluer un art de vivre et celles et ceux qui le perpétuent, pour immortaliser les mains d’un potier ou l’étrange échoppe d’un boucher, le photographe se fait à la fois historien et témoin essentiel d’une réalité qu’il saisit dans sa fragilité, au moment même où elle hésite entre l’oubli et la permanence.
Ces portraits et métiers d’antan forment une véritable galerie dont les médinas et les terroirs sont le théâtre. Fiers cavaliers et bédouins hiératiques, cueilleurs d’olives et pêcheurs du grand large s’y mêlent aux artisans dont les mains ne sauraient oublier le legs des siècles, au monde secret des femmes qui bruisse de toutes les transmissions orales et aussi aux médinas, leurs ports, leurs souks et leurs édifices couverts de voûtes et de dômes.
Au long de ruelles tortueuses et de venelles calfeutrées, au cœur d’un labyrinthe de couleurs et de parfums, Ridha ZILI nous plonge dans un monde désormais lointain et pourtant si immédiatement familier : celui des métiers d’hier, celui des médinas d’hier qu’imperturbables, nous continuons à investir de nos désirs de retrouvailles avec ce passé qui nous fonde.