Sara Abou Mrad
Sara ABOU MRAD (Lebanon, born in 1988)
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Thierry Savatier, Images de rêves.
La peinture de Sara Abou Mrad traduit l’univers onirique qu’elle s’est créé depuis l’enfance et dont l’héroïne est son double, tardivement baptisé « Matilda » (2015). Un double dont elle avoue : « Elle est devenue ma cure, mon refuge, ma consolation. Elle raconte à travers des mises en scènes mes sentiments, les contrariétés subies, les ruptures, les changements survenus dans ma vie, les angoisses qui m’accablent parfois, et récemment, la renaissance, par la joie et l’amour retrouvé. »
Ses tableaux font penser à la définition qu’André Breton donnait des « images de rêve » dans son roman Nadja (1928) : « La production des images de rêve dépendant toujours au moins de ce double jeu de glaces, il y a là l’indication du rôle très spécial, sans doute éminemment révélateur, au plus haut degré "surdéterminant" au sens freudien, que sont appelées à jouer certaines impressions très fortes, nullement contaminables de moralité, vraiment ressenties "par-delà le bien et le mal" dans le rêve et, par suite, dans ce qu’on lui oppose sommairement sous le nom de réalité. »
Son univers se rapproche en effet du surréalisme. Cela explique sans doute la présence, dans sa peinture, de références aux grands maîtres (Autoportrait en Vénus, 2021), de flores improbables et parfois inquiétantes, terrestres et aquatiques (La Danse du soir, 2021 ; La Mort dans l’âme, 2021), d’une faune surprenante et parfois hybride (La Toucane, 2021), de symboles religieux - le poisson/Ichthus - ou rituels (L’Ensemencement, 2021 ; Le Masque Toussian), d’anges ou encore d’un être central, sexué, animal anthropomorphe qu’elle nomme « le Lion » ou son « amoureux ». Ses personnages sont en éternel mouvement ; ils évoluent dans le ciel, dans l’eau, défient la gravité. Sa palette est vive, mais réserve au regardeur des nuances, des jeux de transparence semblables à ceux de l’aquarelle.
Chaque œuvre raconte une histoire. Ainsi, La Promenade de la mariée (2020) décrit-elle douze étapes de la vie de Matilda, du « Grand mariage » à « l’Assomption ». La Rencontre (2020), raconte la rencontre de Matilda et du Lion. Le Voyage onirique (2021) est une narration, sur le mode imaginaire, de la relation amoureuse de Matilda et du Lion sur fond de voyage à Paris. Dans ces toiles de grand format, tout est crypté, chaque détail a son importance pour en permettre l’interprétation.
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Alexandre Najjar, Des forêts de symboles.
Sara Abou Mrad est ce qu’on appelle un phénomène, une sorte de météore en provenance du Liban, cette terre où se rencontrent Orient et Occident et qui a donné au monde les mythes d’Europe et d’Adonis. L’oeuvre picturale de Sara se situe précisément au confluent de ces deux cultures et se nourrit de mythes créés par son imagination fertile, comme Matilda, cette femme aux seins lourds qui survit à toutes les épreuves, ou Sleeper, ce bonhomme manchot qui marche obstinément.
Il faut voir Sara à l’oeuvre dans son atelier de Zalka, les habits bariolés, au milieu de ses pots de peinture, le pinceau à la main, en train de retoucher une grande toile suspendue, pour mesurer la passion et la créativité de cette jeune artiste-plasticienne qui a rapidement trouvé sa place dans le paysage artistique libanais.
Les oeuvres de Sara Abou Mrad résultent d’une synthèse, d’une recomposition, traduisant des émotions mêlées à la fois à des rêves, des envies, des souvenirs et des désirs. D’où son style symbolique, surréel et onirique, qui rappelle par moments l’univers de William Blake. Signes et symboles, puisés dans la faune et la flore, la ville et la religion, engendrent le mystère et offrent une perspective ascensionnelle. Le souci décoratif s’y allie à la spiritualité ; et l’érotisme mène à une fusion du corps et de l’esprit, qui tend par le désir vers le divin, dans une démarche qu’on retrouve dans le soufisme.
Les oeuvres picturales de Sara sont rigoureusement structurées en une succession de plans. Ses histoires, peuplées d’anges ou de créatures étranges, se déroulent souvent entre Ciel et Terre, ce qui nous donne l’impression d’un songe énigmatique. Elle aime construire ses dessins en adoptant différentes compositions, plus ou moins complexes, comme la composition symétrique dans "L’Union un Jour", décentrée dans "Le Cirque du Soleil", horizontale dans "Le Sommeil", triangulaire dans "Vénus Anadyomène", basée sur des diagonales comme dans" La Promenade de la Mariée", fermée dans "La Danse du Soir", ouverte et verticale dans "La Rencontre". Il y a dans son art une véritable architecture, une construction qui sublime le thème abordé et encadre sans l’enfermer son imagination débordante.
La transparence des couleurs est également remarquable chez l’artiste, qui déclare à ce propos : "J’ai opté pour cette technique de peinture, car elle ressemble le plus à mon âme comme à mes émotions, qui sont toujours à fleur de peau". La superposition des couches de couleurs, les nuances des tons insufflent un effet magique à ses œuvres. Des cieux tantôt violets, bleutés, rosâtres ou jaunâtres, veloutés ou satinés accentuent l’ambiance envoûtante de l’atmosphère. Des contrastes forts et harmonieux, distribués en équilibre sur la surface des toiles chargées de détails, surprennent le regard et participent à la singularité de l’ensemble.
Sara Abou Mrad s’est rapidement imposée comme l’une des artistes les plus douées de sa génération, grâce à un style sui generis et à son monde peuplé de symboles et de correspondances, qui nous renvoie à ces fameux vers de Baudelaire :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Alexandre Najjar
Ecrivain, Grand prix de la francophonie de l’Académie française.
Directeur de L’Orient littéraire.
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Biographie
Née en 1988 à Wadi Chahrour, Liban. Diplômée en beaux-arts de l’Université libanaise, elle a fondé en 2010 le département artistique au sein de l’école de "Sainte-Anne des Sœurs de Besançon" à Beyrouth, où elle a enseigné pendant une dizaine d’années.
Lauréate du premier prix de l’Institut allemand-Goethe en 2011 et 2013 pour la traduction de la musique classique en peinture, et du premier prix en dessin du "Beirut Design week" en 2015, elle a publié ses premières séries de gravures "Matilda" chez "Zaaroura maison d’édition, Galerie d’art contemporain Fadi Mogabgab".
En 2016, sous l’égide de la fondation "Empowerment Through Integration", elle a créé un programme basé sur l’Art pour la formation des enfants aveugles, afin de les aider à s’intégrer dans la société.
Lauréate de l’Accademia di Belle Arti di Bologna en 2017, elle a exposé ses oeuvres en 2018 dans le cadre du Festival International de musique classique Al-Bustan.
En 2019, pendant la Révolution libanaise, elle a réalisé une installation intitulée "Le Retour du Phénix" sur la façade principale du Grand Théâtre de Beyrouth. Le public a participé à la création de cette installation composée de 250 "Sleeper" de tailles différentes collées en même temps par les manifestants sur la façade en question.
La même année, elle a exécuté dix fresques murales inspirées par des grands peintres, dans l’enceinte de l’Ecole Sainte-Anne des Sœurs de Besançon à Beyrouth.
En 2020, l’artiste a réalisé une intervention en peinture, intitulée "La Négociation" dans les jardins de la Résidence des Pins à Beyrouth.
La même année, elle a réalisé l’affiche de "la Fête de la musique au temps du confinement"...
Sa sculpture symbolisant "Beyrouth, L’INSTANT T.", conçue à partir de débris de verre provenant de l’explosion du 4 août 2020, a été remise au président français Emmanuel Macron lors de sa visite à Beyrouth pour célébrer le centenaire du Grand-Liban. En septembre 2020, en tant que boursière de l’Institut français au Liban, elle a été admise à la Cité Internationale des Arts à Paris pour une résidence d’artiste.
Lauréate de la compétition "Appel aux Jeunes Artistes du Liban" lancée par "le Fonds Claude et France Lemand", elle a vu son œuvre intitulée "La Promenade de la Mariée" et 26 autres dessins de la série "Histoire d’Amour" de la "Collection Matilda" rejoindre la collection permanente du Musée de l’Institut du Monde Arabe à Paris. En mars 2021, l’artiste a illustré douze poèmes des Fleurs du Mal, à l’occasion du bicentenaire de Baudelaire, pour le numéro spécial de L’Orient Littéraire.
Elle a participé à plusieurs expositions au Liban et à l’étranger, dont Beirut Art Fair, Luxembourg Art Fair, Amsterdam Affordable Art Fair, Salon International d’Art Contemporain Paris, Artbox project Zürich, QIAF Qatar, FIAC, 508 Gallery Londres ou encore l’Accademia di belle arti di Bologna.