Sara Abou Mrad

Sara ABOU MRAD, (Liban, née en 1988)
___

Alexandre Najjar, Forêts de sym­bo­les.

Sara Abou Mrad est ce qu’on appelle un phé­no­mène, une sorte de météore en pro­ve­nance du Liban, cette terre où se ren­contrent Orient et Occident et qui a donné au monde les mythes d’Europe et d’Adonis. L’oeuvre pic­tu­rale de Sara se situe pré­ci­sé­ment au confluent de ces deux cultu­res et se nour­rit de mythes créés par son ima­gi­na­tion fer­tile, comme Matilda, cette femme aux seins lourds qui survit à toutes les épreuves, ou Sleeper, ce bon­homme man­chot qui marche obs­ti­né­ment.

Les oeu­vres de Sara Abou Mrad résul­tent d’une syn­thèse, d’une recom­po­si­tion, tra­dui­sant des émotions mêlées à la fois à des rêves, des envies, des sou­ve­nirs et des désirs. D’où son style sym­bo­li­que, sur­réel et oni­ri­que, qui rap­pelle par moments l’uni­vers de William Blake. Signes et sym­bo­les, puisés dans la faune et la flore, la ville et la reli­gion, engen­drent le mys­tère et offrent une pers­pec­tive ascen­sion­nelle. Le souci déco­ra­tif s’y allie à la spi­ri­tua­lité ; et l’érotisme mène à une fusion du corps et de l’esprit, qui tend par le désir vers le divin, dans une démar­che qu’on retrouve dans le sou­fisme.

Les oeu­vres pic­tu­ra­les de Sara sont rigou­reu­se­ment struc­tu­rées en une suc­ces­sion de plans. Ses his­toi­res, peu­plées d’anges ou de créa­tu­res étranges, se dérou­lent sou­vent entre Ciel et Terre, ce qui nous donne l’impres­sion d’un songe énigmatique. Elle aime cons­truire ses des­sins en adop­tant dif­fé­ren­tes com­po­si­tions, plus ou moins com­plexes, comme la com­po­si­tion symé­tri­que dans "L’Union un Jour", décen­trée dans "Le Cirque du Soleil", hori­zon­tale dans "Le Sommeil", trian­gu­laire dans "Vénus Anadyomène", basée sur des dia­go­na­les comme dans" La Promenade de la Mariée", fermée dans "La Danse du Soir", ouverte et ver­ti­cale dans "La Rencontre". Il y a dans son art une véri­ta­ble archi­tec­ture, une cons­truc­tion qui sublime le thème abordé et enca­dre sans l’enfer­mer son ima­gi­na­tion débor­dante.

La trans­pa­rence des cou­leurs est également remar­qua­ble chez l’artiste, qui déclare à ce propos : "J’ai opté pour cette tech­ni­que de pein­ture, car elle res­sem­ble le plus à mon âme comme à mes émotions, qui sont tou­jours à fleur de peau". La super­po­si­tion des cou­ches de cou­leurs, les nuan­ces des tons insuf­flent un effet magi­que à ses œuvres. Des cieux tantôt vio­lets, bleu­tés, rosâ­tres ou jau­nâ­tres, velou­tés ou sati­nés accen­tuent l’ambiance envoû­tante de l’atmo­sphère. Des contras­tes forts et har­mo­nieux, dis­tri­bués en équilibre sur la sur­face des toiles char­gées de détails, sur­pren­nent le regard et par­ti­ci­pent à la sin­gu­la­rité de l’ensem­ble.

Sara Abou Mrad s’est rapi­de­ment impo­sée comme l’une des artis­tes les plus douées de sa géné­ra­tion, grâce à son style per­son­nel et à son monde peuplé de sym­bo­les et de cor­res­pon­dan­ces, qui nous ren­voie à ces fameux vers de Baudelaire :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent par­fois sortir de confu­ses paro­les ;
L’homme y passe à tra­vers des forêts de sym­bo­les
Qui l’obser­vent avec des regards fami­liers.

Comme de longs échos qui de loin se confon­dent
Dans une téné­breuse et pro­fonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les par­fums, les cou­leurs et les sons se répon­dent.

Alexandre Najjar
Ecrivain, Grand prix de la fran­co­pho­nie de l’Académie fran­çaise.
Directeur de L’Orient lit­té­raire.
___

Thierry Savatier, Images de rêves. Ecrivain et his­to­rien d’art.

La pein­ture de Sara Abou Mrad tra­duit l’uni­vers oni­ri­que qu’elle s’est créé depuis l’enfance et dont l’héroïne est son double, tar­di­ve­ment bap­tisé « Matilda » (2015). Un double dont elle avoue : « Elle est deve­nue ma cure, mon refuge, ma conso­la­tion. Elle raconte à tra­vers des mises en scènes mes sen­ti­ments, les contra­rié­tés subies, les rup­tu­res, les chan­ge­ments sur­ve­nus dans ma vie, les angois­ses qui m’acca­blent par­fois, et récem­ment, la renais­sance, par la joie et l’amour retrouvé. »

Ses tableaux font penser à la défi­ni­tion qu’André Breton don­nait des « images de rêve » dans son roman Nadja (1928) : « La pro­duc­tion des images de rêve dépen­dant tou­jours au moins de ce double jeu de glaces, il y a là l’indi­ca­tion du rôle très spé­cial, sans doute éminemment révé­la­teur, au plus haut degré "sur­dé­ter­mi­nant" au sens freu­dien, que sont appe­lées à jouer cer­tai­nes impres­sions très fortes, nul­le­ment conta­mi­na­bles de mora­lité, vrai­ment res­sen­ties "par-delà le bien et le mal" dans le rêve et, par suite, dans ce qu’on lui oppose som­mai­re­ment sous le nom de réa­lité. »

Son uni­vers se rap­pro­che en effet du sur­réa­lisme. Cela expli­que sans doute la pré­sence, dans sa pein­ture, de réfé­ren­ces aux grands maî­tres (Autoportrait en Vénus, 2021), de flores impro­ba­bles et par­fois inquié­tan­tes, ter­res­tres et aqua­ti­ques (La Danse du soir, 2021 ; La Mort dans l’âme, 2021), d’une faune sur­pre­nante et par­fois hybride (La Toucane, 2021), de sym­bo­les reli­gieux - le pois­son/Ichthus - ou rituels (L’Ensemencement, 2021 ; Le Masque Toussian), d’anges ou encore d’un être cen­tral, sexué, animal anthro­po­mor­phe qu’elle nomme « le Lion » ou son « amou­reux ». Ses per­son­na­ges sont en éternel mou­ve­ment ; ils évoluent dans le ciel, dans l’eau, défient la gra­vité. Sa palette est vive, mais réserve au regar­deur des nuan­ces, des jeux de trans­pa­rence sem­bla­bles à ceux de l’aqua­relle.

Chaque œuvre raconte une his­toire. Ainsi, La Promenade de la mariée (2020) décrit-elle douze étapes de la vie de Matilda, du « Grand mariage » à « l’Assomption ». La Rencontre (2020), raconte la ren­contre de Matilda et du Lion. Le Voyage oni­ri­que (2021) est une nar­ra­tion, sur le mode ima­gi­naire, de la rela­tion amou­reuse de Matilda et du Lion sur fond de voyage à Paris. Dans ces toiles de grand format, tout est crypté, chaque détail a son impor­tance pour en per­met­tre l’inter­pré­ta­tion.
___

Biographie

Née en 1988 à Wadi Chahrour, Liban. Diplômée en beaux-arts de l’Université liba­naise, elle a fondé en 2010 le dépar­te­ment artis­ti­que au sein de l’école de "Sainte-Anne des Sœurs de Besançon" à Beyrouth, où elle a ensei­gné pen­dant une dizaine d’années.

Lauréate du pre­mier prix de l’Institut alle­mand-Goethe en 2011 et 2013 pour la tra­duc­tion de la musi­que clas­si­que en pein­ture, et du pre­mier prix en dessin du "Beirut Design week" en 2015, elle a publié ses pre­miè­res séries de gra­vu­res "Matilda" chez "Zaaroura maison d’édition, Galerie d’art contem­po­rain Fadi Mogabgab".
En 2016, sous l’égide de la fon­da­tion "Empowerment Through Integration", elle a créé un pro­gramme basé sur l’Art pour la for­ma­tion des enfants aveu­gles, afin de les aider à s’inté­grer dans la société.

Lauréate de l’Accademia di Belle Arti di Bologna en 2017, elle a exposé ses oeu­vres en 2018 dans le cadre du Festival International de musi­que clas­si­que Al-Bustan.
En 2019, pen­dant la Révolution liba­naise, elle a réa­lisé une ins­tal­la­tion inti­tu­lée "Le Retour du Phénix" sur la façade prin­ci­pale du Grand Théâtre de Beyrouth. Le public a par­ti­cipé à la créa­tion de cette ins­tal­la­tion com­po­sée de 250 "Sleeper" de tailles dif­fé­ren­tes col­lées en même temps par les mani­fes­tants sur la façade en ques­tion.
La même année, elle a exé­cuté dix fres­ques mura­les ins­pi­rées par des grands pein­tres, dans l’enceinte de l’Ecole Sainte-Anne des Sœurs de Besançon à Beyrouth.

En 2020, l’artiste a réa­lisé une inter­ven­tion en pein­ture, inti­tu­lée "La Négociation" dans les jar­dins de la Résidence des Pins à Beyrouth.
La même année, elle a réa­lisé l’affi­che de "la Fête de la musi­que au temps du confi­ne­ment"...

Sa sculp­ture sym­bo­li­sant "Beyrouth, L’INSTANT T.", conçue à partir de débris de verre pro­ve­nant de l’explo­sion du 4 août 2020, a été remise au pré­si­dent fran­çais Emmanuel Macron lors de sa visite à Beyrouth pour célé­brer le cen­te­naire du Grand-Liban. En sep­tem­bre 2020, en tant que bour­sière de l’Institut fran­çais au Liban, elle a été admise à la Cité Internationale des Arts à Paris pour une rési­dence d’artiste.

Lauréate de la com­pé­ti­tion "Appel aux Jeunes Artistes du Liban" lancée par "le Fonds Claude et France Lemand", elle a vu son œuvre inti­tu­lée "La Promenade de la Mariée" et 26 autres des­sins de la série "Histoire d’Amour" de la "Collection Matilda" rejoin­dre la col­lec­tion per­ma­nente du Musée de l’Institut du Monde Arabe à Paris. En mars 2021, l’artiste a illus­tré douze poèmes des Fleurs du Mal, à l’occa­sion du bicen­te­naire de Baudelaire, pour le numéro spé­cial de L’Orient Littéraire.

Elle a par­ti­cipé à plu­sieurs expo­si­tions au Liban et à l’étranger, dont Beirut Art Fair, Luxembourg Art Fair, Amsterdam Affordable Art Fair, Salon International d’Art Contemporain Paris, Artbox pro­ject Zürich, QIAF Qatar, FIAC, 508 Gallery Londres ou encore l’Accademia di belle arti di Bologna.

Copyright © Galerie Claude Lemand 2012.

Réalisation :: www.arterrien.com