Abdallah BENANTEUR (Algérie, 1931 - France, 2017).
(D’après Claude Lemand)
Imprégné de la culture arabe de son Algérie natale, de la grande peinture européenne des musées de France et d’Europe, des arts graphiques et des manuscrits d’Europe, d’Orient et d’Extrême-Orient, nourri par l’imaginaire des poètes du monde entier dont il était devenu un fin connaisseur, Benanteur a su créer des œuvres personnelles, des paysages poétiques baignés par la lumière, bien réelle, de sa Méditerranée natale et de sa Bretagne d’adoption, et par une lumière transcendantale, « ni orientale ni occidentale », qui transfigure les paysages de la mémoire en des paradis peuplés de ses chers Elus.
L’œuvre de Benanteur est le reflet d’une vision idéaliste et humaniste, issue de trois conceptions du monde qui l’ont successivement influencé et dont il a intégré profondément les catégories, car elles correspondaient à son idéal humain, esthétique et social : le soufisme de son enfance à Mostaganem (prières et poèmes mystiques psalmodiés en arabe, processions à l’occasion de certaines fêtes religieuses, livres enluminés et apprentissage de la calligraphie arabe), un communisme utopiste et pacifiste qui l’a marqué durant les années 1950 et 1960 en France, tous deux proches du bouddhisme de cet Extrême-Orient dont il connaissait si bien et admirait tant les poètes et les peintres (sagesse, poésie et peinture : paysage idéal et place modeste et harmonieuse de l’homme dans la nature). Persuadé d’être né au mauvais moment, Benanteur aurait aimé vivre et travailler dans un pays et à une époque où cet idéal humain, esthétique et social, existait encore : la fin du Moyen Âge européen ou l’apogée de la civilisation arabo-andalouse.
Abdallah Benanteur, Le Hoggar, 1960. Huile sur toile, 100 x 200 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Benanteur n’était pas pour la lutte armée, mais pour la résistance pacifique et le témoignage, à l’image du Mahatma Gandhi qu’il avait érigé en modèle. En 1958, il apprend la mort au combat dans le maquis de son frère cadet Charef. Il est choqué et suspend toute activité artistique. Quand il se remet à peindre en 1959, sa peinture change radicalement de style, de technique, de format et de thématique. Durant deux années d’intense activité, il produit un ensemble cohérent et puissant. Sa peinture devient paysagiste, matiériste et monochrome, avec une technique impressionniste faite de milliers de touches accumulées avec un pinceau fin. Le dessin qui cernait ses formes et ses aplats disparaît et la composition devient linéaire, horizontale et répétitive. C’est sa « période du désert » : la terre algérienne comme symbole de la douleur (rouge, aride, blessée), de la résistance et d’une identité que la colonisation a toujours cherché à arracher. L’historien d’art Raoul-Jean Moulin dira de ces paysages de la période du désert qu’ils sont comme le portrait de son frère et de l’Algérie martyrisés et peut-être même comme des autoportraits du peintre lui-même.
Abdallah Benanteur, Le Bois d’Amour, 1981. Huile sur toile, 130 x 97 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Souvenir du Bois d’Amour de Pont-Aven, haut lieu d’inspiration des peintres, cette peinture vient clôturer la longue période bretonne d’Abdallah Benanteur et annoncer sa période italienne (1982-89). Plus à l’aise financièrement, les Benanteur passeront désormais leurs vacances d’été dans tous les pays d’Europe riches en musée. Le Bois d’amour est réalisé par un peintre libéré des images négatives de son Algérie natale et de l’obsession morbide de sa mère malade et morte. Sur la toile, elle se joint aux autres Algériennes décédées, elles-mêmes mères de martyrs, et toutes marchent vers le Bois d’amour, qui est un cimetière vert et beau, le paradis des élus. Hommage à la Bretagne, qui a représenté pour lui une Algérie apaisée et inspiratrice. Dans sa technique lisse, et surtout dans sa thématique de l’univers des morts, cette peinture est un hommage aux peintres symbolistes qu’il admirait. Elle annonce celles des années 1984-89 (Ma mère a vu, Le Départ de Halouma, Les Elus,…), dans lesquelles il représentera sa mère et son frère en compagnie d’autres morts, figures sublimées et idéalisées, flottant dans un paysage idyllique, un paradis terrestre-céleste.
Abdallah Benanteur, Poésie, 1962. Livre en feuilles, 92 pages, 38 x 28 cm. Poèmes de Jean Sénac, illustrés de 10 gravures de Benanteur. Tirage à 50 ex. Collection Bernard Duvivier. Présentation de Monique Boucher : « Cet ouvrage, dû à l’indépendance vécue de Sénac et au silence ardent de Benanteur, a été une quête sans cesse arrachée à la précarité. Ce sera la sensible métamorphose de racines oubliées. ». Ce premier livre d’artiste, réalisé à Paris par deux amis algériens, pour annoncer la prochaine indépendance de leur pays, sera exposé à la Bibliothèque nationale d’Alger en décembre 1962. Conférence de presse par son administrateur M. Mahmoud Bouayed. Cérémonie officielle d’inauguration le 15 décembre, en présence du ministre de l’Education nationale et de nombreuses personnalités.
Abdallah Benanteur, A Jamila Bouhired, 2001. Livre unique en feuilles, 88 pages, 32,5 x 42 cm. Poème de Badr Shaker Al-Sayyab, manuscrit par l’artiste sur empreinte et orné de 27 aquarelles et 4 croquis. Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Typographe, maquettiste et graveur de génie, Abdallah Benanteur conçoit et réalise entièrement ses livres, le travail du papier comme le tirage de toutes les épreuves sur sa presse à bras. De 1961 à 1994, il a créé cent livres de bibliophilie, sur des poèmes anciens et contemporains, d’Orient et d’Occident. L’eau-forte sera sa technique privilégiée, sur ardoise, plomb et lino, puis sur cuivre et zinc. A partir de 1994, Benanteur crée un ensemble impressionnant de plus de 1300 livres uniques, sur des textes de plus de 300 poètes du monde entier, en langue originale, traduits en français ou en édition bilingue. Il a varié à souhait les formats, la mise en page, le papier, le texte et les techniques d’illustration.