PROLOGUE . Textes par Marc Hérissé
Entre abstraction et figuration, elles sont magiques ces toiles de Benanteur. Transparentes, irisées de couleurs multiples et toujours assorties de prismatisations raffinées, elles évoquent, sans les représenter vraiment, les vastes espaces de la Bretagne, de la mer ou des déserts dans lesquels ce peintre a pu rêver durant sa jeunesse algérienne. La poésie est constante dans l’univers noble et singulier de cet artiste dont Youri écrit si justement : « Magnifiquement seul, à l’écart des groupes et des modes, il invente son espace, crée son propre temps. »
Encore abstraites, les œuvres des années 80 que propose ce très grand artiste éblouissent avec leurs particules de lumières éclatées. Nous sommes ici au cœur d’un véritable impressionnisme hors de toute figuration, cette figuration que le peintre a découverte par la suite et qu’il sait exprimer de façon allusive et si sensible depuis ses voyages en Italie. Est-ce dire que je préfère telle période à telle autre ? Non. J’aime Benanteur en bloc, pour cette superbe touche alvéolée qui fait éclater toutes les irisations du prisme.
D’année en année, l’artiste algérien, né en 1931, m’éblouit davantage par une maîtrise sans cesse accrue. Ce peintre, qui sait de façon superbe opérer la synthèse entre figuration et abstraction, nous jette à la face deux immenses polyptyques qu’il a simplement et énigmatiquement intitulés Triomphe. Sur ces œuvres, qui peuvent apparaître à certains comme un assemblage harmonieux de couleurs, on peut cependant déceler si on le veut toute une armée venue de l’ombre. Dans les limbes de ce panthéon personnel figurent et disparaissent à la fois ici Rembrandt ou Rubens, là les amis vivants ou morts statufiés pour l’éternité, là encore une déesse-mère tutélaire et nimbée de clarté lunaire. On peut lire également de vastes paysages où l’on peut se trouver et se perdre. Avec toujours les mêmes fluidités d’aquarelles, les mêmes glacis légers, la touche a pris de l’ampleur, et sous les transparences diaphanes, la lumière sourd encore comme d’un soleil en gloire.
La nostalgie des horizons perdus, si elle reste sous-jacente dans ces « Pays - Paysages » que nous offre le grand peintre algérien, n’est qu’une des composantes de son univers. Sa superbe peinture, de caractère universel, ne saurait se limiter à ce regard récurrent sur les seuls environs de Mostaganem. Ils ne sont que le point de départ d’une errance dans laquelle l’artiste nous entraîne avec lui. Le regard vacille sans cesse, émerveillé, ne sachant discerner l’abstrait du figuré, chaque toile, d’une seconde à l’autre, pouvant susciter une vision nouvelle : ainsi se révèle-t-elle multiple, polymorphe, créatrice de mystère, comme toutes les grandes œuvres qui, qu’elles soient dramatiques, symphoniques, poétiques ou littéraires, sont si riches que l’on peut soi-même les déchiffrer et les interpréter de façons diverses. Ici, les tondos, présentés parmi les grandes toiles carrées, ne sont pas divertissements d’esthète, mais focalisation, symbole du regard et de l’iris qu’il traverse. La palette est irisée, diaprée, aérienne, vibrante de transparences, au sein d’un geste sûr, magistral, poétique et viril. Les trouées de lumière, solaires ou orageuses, vous entraînent au-delà même des limites du tableau. Devant ces frémissements de lumière, le souvenir de Turner s’empare de vous. C’est pourtant un autre monde, mais c’est bien la même magie.
Publications disponibles :
BENANTEUR, Monographie Volume 1. Peintures.
BENANTEUR, Monographie Volume 2. Oeuvres graphiques