Abdelkader GUERMAZ (Algérie 1919 - France 1996)
https://www.imarabe.org/fr/expositions/algerie-mon-amour
https://www.youtube.com/watch?v=lgvttB2krpQ
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Par Emilie Goudal
Né en 1919, le peintre et dessinateur Abdelkader Guermaz - « l’aîné des fondateurs de la peinture algérienne moderne », comme le qualifie joliment le collectionneur Pierre Rey - grandit entre sa ville natale de Mascara et Oran. Premier diplômé « indigène » de l’École des beaux-arts d’Oran (1938-1941), où il est même nommé professeur de dessin, il est rapidement exposé à la galerie oranaise Colline, qui le représentera jusqu’en 1961.
Guermaz est également un homme de mots. Premier prix de poésie de la revue L’Amitié et la Plume en 1953, il signe, entre 1952 et 1961, de nombreux essais et articles pour les revues Soleil, Simoun et les journaux Oran Républicain ou La République. Il écrit aussi sur ses confrères et amis artistes, notamment Louis Nallard, qu’il qualifie de « peintre abstrait par excellence » ; un parti pris de l’abstraction, ou plutôt de la non-figuration du sujet, que l’on retrouve dans l’œuvre de Guermaz lui-même. En 1962, il s’installe définitivement à Paris, mais continue d’exposer avec d’autres peintres algériens en France et en Algérie. Son travail sera exposé ponctuellement en Asie, au Salon des Arts plastiques de Tokyo en 1973 et à l’Exposition internationale des Arts à Téhéran l’année suivante.
Dans ses tableaux, l’importance de la matérialité et de la fusion, alliage entre le tissu de la toile brute et la matière picturale, est au fondement d’une rigoureuse architecture horizontale et verticale, à laquelle la couleur spectrale vient donner du rythme. Une cosmogonie de la matière, qui use de la tension entre ligne et couleurs, entre rigueur du trait et fluidité chromatique.
Le travail du blanc n’est jamais une invitation au vide, mais plutôt à pénétrer dans un espace perforé par la lumière et d’espaces creusés dans la matière. Cette lumière appelle selon l’artiste à la « conscience universelle », à « restituer à cet éclat intérieur toute sa vraisemblance. ». La structure architecturée, linéaire, fait émerger une sorte de sfumato, qui donne encore paradoxalement à ses tableaux à l’huile l’aspect de couleur aquarellée. Car l’objet de la toile est bien la toile elle-même, qui pour l’artiste est la matière, grammaire à partir de laquelle il fait jaillir la couleur, au diapason de sa structure initiale. Pas d’anecdote, ni d’objet réellement identifiable, si ce n’est le titre qui guide parfois notre regard pour apprécier ses compositions.
L’œuvre de Guermaz a trouvé une place au sein des collections de musées (Barjeel Art Foundation à Sharjah, collections des musées d’Oran et d’Alger, FNAC, Ville de Paris, plus récemment au Musée national d’art moderne et surtout au Musée de l’Institut du monde arabe, grâce à la Donation Claude et France Lemand) et une renommée certaine auprès de nombreux critiques d’art et de galeristes ; il est néanmoins modestement connu aujourd’hui. C’est en homme solitaire qu’il peint entre 1981 et 1996, jusqu’à sa mort, un 9 août à Paris, laissant derrière lui une production de plus de quatre cents toiles, recensées par le Cercle des amis de Guermaz dans son Catalogue raisonné, et des écrits qui mériteraient d’être (re)découverts.
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Abdelkader Guermaz, Composition, 1970. Huile sur toile, 195 x 130 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Dans Composition (1970), l’immersion dans la couleur diffuse et intense, d’un bleu presque aquarellique, est atténué par la ponctuation de détails, minimalistes et épais, scandant un espace originellement cristallin. Cet indigo liquide, d’une matière abrupte du pigment à l’huile, est perturbé par ce peuplement de stries cernées et verticales. Est-ce une foule éparse vue du ciel ? Est-ce une collection de notes flottantes sur une partition picturale diluée ? Le contemplateur y trouvera son paysage intérieur, - un « paysage mental » comme le dit Alain Bosquet, - où les formes cubiques, si elles ne sont pas sans remémorer parfois la ligne d’horizon d’une architecture nord-africaine, outrepassent largement la réalité d’une identification à une topographie existante.
Abdelkader Guermaz, Composition, 1972. Huile sur toile, 195 x 130 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Composition (1972) est « éventrée » d’un couple de strates noires, gouffre béant tout autant que cernes, par contraste des couleurs lumineuses adjacentes. Ce noir, rare dans l’œuvre de l’artiste, prend ici toute sa place au centre de la toile, pour se diluer dans les ponctuations, notes scandées de touches polychromes… Bientôt, la brume du gris ou d’un blanc « sali » reprend sa place, sur la part obscure de la toile. Il n’y a rien à y comprendre ou tout à y voir, la possibilité de trouver une correspondance à soi dans l’appréciation d’une toile où, comme dit l’artiste, « L’objet ne m’intéresse pas tel qu’il est. Je le désintègre pour ne m’intéresser qu’au rythme et à la recherche des nuances ».