Abderrahmane Ould MOHAND - ALGERIA MY LOVE - Exhibition.

From 21 to 27 March 2022 - Institut du monde arabe

  • MOHAND, Le Jardin des Moines.

    Le Jardin des Moines, 1997. Oil on canvas, 146 x 228 cm. Donation Claude and France Lemand. Museum, Institut du monde arabe, Paris. © Abderrahmane Ould Mohand. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • MOHAND, Invitation.

    Invitation (Happy hours. In memory of Tahar Djaout), 2016. Oil and acrylic on canvas, 200 x 160 cm. Donation Claude and France Lemand. Museum of the Institut du monde arabe, Paris. Copyright Abderrahmane Ould Mohand. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

Abderrahmane Ould MOHAND (Algeria, born in 1960 - France).

By Anissa Bouayed.

Abderrahmane Ould-Mohand est né en 1960 à El Harrach, tout près d’Alger, dans une mod­este famille kabyle, venue dans la cap­i­tale pour des raisons économiques. Premier prix de pein­ture des Beaux-arts d’Alger, il adopte dès sa sortie de l’école en 1983, dans la veine du groupe Aouchem, une pein­ture ouverte à l’uni­vers des signes de sa cul­ture ber­bère, qu’il se réap­pro­prie dans une optique mod­erne. Il réalise aussi des col­lages et se dédie également depuis son arrivée en France à d’autres mediums tels que la pho­togra­phie, qu’il pra­tique comme une alter­na­tive au tra­vail soli­taire et silen­cieux de l’ate­lier.

Le début des années 1980 est en Algérie un moment de grande créa­tivité, dans l’effer­ves­cence insuf­flée depuis avril 1980 par le Printemps ber­bère. En dépit de sa répres­sion, c’est le premier mou­ve­ment cul­turel d’ampleur dans l’Algérie indépen­dante. Le champ sym­bol­ique, des arts visuels à la chanson pop­u­laire en pas­sant par la lit­téra­ture, en est stimulé. Participant pleine­ment de cet élan, le tra­vail d’Abderrahmane Ould Mohand est exposé à Alger dès 1982 et fait partie de la grande expo­si­tion col­lec­tive du Musée national des Beaux-arts d’Alger pour la com­mé­mora­tion des 30 ans de l’insur­rec­tion, L’art et la Révolution algéri­enne, 1954-1984. Vite reconnu, le jeune artiste est admis aux Beaux-arts de Paris et com­mence à exposer dans les deux cap­i­tales.

De ce moment, retenons une œuvre intri­g­ante, provo­ca­trice et pleine de promesses : Voici la chose. Elle est conçue et présentée pour la double expo­si­tion Hommage à Picasso (à Alger en 1887 et à Antibes en 1988), étape impor­tante dans la con­fronta­tion des jeunes artistes algériens à l’ori­en­tal­isme et à sa décon­struc­tion : sur une toile de jute, une frise faite de signes se suc­cé­dant tels des algo­rithmes, encadre trois énigmatiques empreintes (évocation des « femmes d’Alger » ?) dressées dans une improb­able scène dont la dimen­sion « ori­en­tale » n’est sig­nifiée que par trois objets incrustés dans la toile, des cages à oiseaux. Le jeune peintre déclare, pour con­firmer son inten­tion volon­taire­ment décalée : « L’œuvre ne doit pas être un pré­texte à une partie de plaisir en arabesques mul­ti­col­ores, mais plutôt un témoignage d’une réalité sociale incon­tourn­able. » Témoignage certes, mais surtout ironie, qui donne une indi­ca­tion sur la capacité du peintre à inve­stir cet écart fon­da­teur d’avec la réalité vis­ible, pour mieux la sig­ni­fier.
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- Abderrahmane Ould Mohand, Portrait de l’Oiseau-Qui-N’Existe-Pas, 1996. Sur un poème de Claude Aveline. Livre unique en feuilles, sous cou­ver­ture illus­trée, entière­ment manuscrit et peint par l’artiste, 38 x 28 cm. Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Dès 1996, l’invi­ta­tion de Claude Lemand à réaliser libre­ment une œuvre inspirée du poème de Claude Aveline Portrait de l’Oiseau-Qui-N’Existe-Pas permet à Mohand de faire plusieurs œuvres qui con­fir­ment son choix fig­u­ratif, tout en injec­tant dans la fig­u­ra­tion sa part de réalité et sa part mys­tique. Le thème de l’oiseau est idéal pour évoquer ces dif­férents mes­sages. Au-delà des références à Braque ou à Matisse, et par-delà les som­bres visions de Velickovic, les référents de la cul­ture arabo-islamique sur­gis­sent dans cet oiseau tout de fil­igranes et saturé de motifs géométriques, évoquant les somptueuses réal­i­sa­tions de la céramique, des tex­tiles ou des manuscrits arabes ou per­sans de Kalila wa Dimna, fables d’Ibn Al-Muqaffa’ ou de La Conférence des Oiseaux de Fariduddin Al-Attar.

- Abderrahmane Ould Mohand, Le Jardin des Moines, 1997. Huile sur toile, dip­tyque, 146 x 228 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
La ter­rible période qui com­mence en Algérie avec la guerre civile et le ter­ror­isme cor­re­spond pour Mohand à une pro­fonde réflexion, le con­duisant à refuser d’entrer dans un cycle de réponses sym­bol­ique­ment vio­lentes pour con­damner la vio­lence. Cette réflexion devient acte avec Le Jardin des moines, dip­tyque aux couleurs claires de bleu, de vert et d’ocre, qu’il peint en lieu et place d’une toile qu’il avait ébauchée au fusain pour représenter le mas­sacre, en 1996, des sept moines de Tibhirine. Un choix qui cor­re­spond à un besoin mys­tique d’évoquer la vie, le bon­heur pos­sible, le partage, l’amour d’autrui et d’appro­fondir, ce faisant, le thème du jardin et sa tra­duc­tion plas­tique. Dans une con­struc­tion fausse­ment prosaïque, Mohand installe l’idée du frugal repas partagé, qui était l’ordi­naire des moines. Une nappe, des fruits, nour­ri­t­ures ter­restres mais aussi le vin qui évoque le mes­sage chris­tique et la com­mu­nion. Le thème du jardin, qui tra­verse toute l’his­toire de l’art européen, s’inscrit aussi dans d’autres référents : Mohand com­pose sa scène par la jux­ta­po­si­tion d’éléments qui font penser au décor mural fait de céramiques à décor végétal des maisons algéroises. Le dessin sim­plifié des objets et des fruits évoque ce dernier moment de partage, inter­rompu par la vio­lence de l’Histoire. Rien ne laisse voir l’atrocité du mas­sacre, mais l’absence de toute présence humaine laisse présager que le drame a eu lieu. En bas du dip­tyque, l’œuvre offre un deux­ième niveau de lec­ture : le peintre a con­struit à une autre échelle un paysage vu de loin, aux arbres stylisés, qui porte à même l’ocre du sol le nom des frères dis­parus, en signe d’appar­te­nance à la terre algéri­enne.

- Abderrahmane Ould Mohand, Invitation (Moments heureux vécus à partager. Mémoire affolée de Tahar Djaout), 2016. Huile et acrylique sur toile, 200 x 150 cm. Donation Claude et France Lemand. Musée, Institut du monde arabe, Paris.
L’Invitation, toile de 2016, aurait pu être un jardin du sou­venir, tant elle est animée de formes qui représen­tent des fruits, des plantes, des oiseaux, et tant elle a d’affinités avec l’œuvre précé­dente, bien que 20 ans les séparent. Mais le peintre évoque l’image inspi­ra­trice du tapis. Ici, la référence formelle la plus évidente est Le tapis du sou­venir de Paul Klee (1914), œuvre abstraite impor­tante qui lui servira de matrice pour ses œuvres ultérieures inspirées de l’Orient, en mod­i­fiant rad­i­cale­ment son sys­tème de représen­ta­tion. L’Invitation dont le sous-titre nous convie aussi à con­tem­pler ce qui fait les moments de joie de l’exis­tence même si, là encore, le titre nous permet de savoir que Mohand n’a pas oublié Tahar Djaout, l’écrivain assas­siné en 1993 à Alger parce qu’il con­tin­uait à écrire et à clamer sa lib­erté de penser, malgré les men­aces ter­ror­istes. Il lui dédie cette œuvre et nous invite, par le signe qui représente une enveloppe, en haut à droite, à nous promener au fil des sou­venirs rassem­blés, pour pou­voir con­tinuer à exister par-delà le désastre, en cher­chant inlass­able­ment le sens de la vie, la beauté des choses et la trace des absents. Ces petites scènes font sens ensemble, comme si la com­po­si­tion plas­tique nous fai­sait passer des sou­venirs épars à la con­struc­tion d’une mémoire com­mune, celle qui n’oublie pas les êtres sac­ri­fiés sur l’autel de la vio­lence.

Copyright © Galerie Claude Lemand 2012.

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