Denis MARTINEZ. Un destin algérien - ALGERIE MON AMOUR - Exposition.
(D’après Anissa Bouayed)
Né en 1941 en Oranie, Denis Martinez concentre dans les différents prismes de sa création, qui court sur plus de soixante ans, l’histoire artistique de l’Algérie contemporaine, et l’Histoire tout court : issu d’une famille modeste d’origine espagnole, il choisira, après 1962, l’Algérie indépendante comme patrie. Professeur de dessin à l’Ecole des beaux-arts d’Alger dès l’âge de 21 ans, passeur et pédagogue auprès de deux générations de jeunes artistes algériens en formation, il est l’initiateur en 1967, avec Choukri Mesli, du groupe Aouchem (Tatouages en arabe), prônant un art à la fois profondément enraciné dans la tradition algérienne et tout de modernité et de liberté d’expression. Pilier de la vie artistique de la jeune Algérie indépendante, son œuvre est l’objet d’une rétrospective au Musée d’Alger en 1985. Contraint à l’exil en 1994, pendant les années noires, il s’installe à Marseille et enseigne à l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence. L’artiste partage désormais sa vie entre la France et l’Algérie.
L’œuvre de Denis Martinez a pu être rapprochée de celle des surréalistes ou des dadaïstes, l’artiste revendiquant plutôt son goût pour les arts populaires ; mais c’est peut-être le caractère résolument « primitif » qui définirait le mieux son travail, dans sa volonté constante de briser les limites traditionnelles de la peinture. Assemblages, dessins vertigineux de virtuosité, peinture dans tous ses états et sur tous les supports, - de la toile aux murs, de l’intérieur à l’extérieur, sans oublier ses installations et ses fameuses performances. Au fil d’une trajectoire artistique unique, alliant riche vocabulaire formel et trait inimitable, ce promoteur de la polyphonie des arts aura laissé libre court à la déconstruction des codes et à son goût, si rare dans le monde de l’art, pour le travail collectif.
Denis Martinez, Porte de l’illumination, 1991. Acrylique sur toile, 200 x 200 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Denis Martinez, Anzar (le prince berbère de la pluie), 2001. Acrylique sur toile, 200 x 300 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Deux œuvres de la période marseillaise de l’artiste. Au début des années 1990 et des « années noires », la réflexion de Denis Martinez sur l’espace et la manière d’en prendre possession, interrogation de peintre toujours recommencée, se charge d’angoisse et témoigne de la confrontation d’univers inconciliables. Le traitement esthétique du thème de la porte, cher au peintre, évolue, devenant le lieu de tensions contraires mais aussi d’ouverture sur tous les possibles. Ainsi, de cette Porte de l’illumination, où la révélation semble venir de l’affrontement de forces antagoniques qui traversent le sujet au passage du seuil, comme autant de flèches. Par la suite, dans d’autres œuvres, ses « Portes » deviendront lieu de violence, aux couleurs électriques, heurtées, violemment contrastées, pour signifier l’imminence du danger, ressenti face à un espace extérieur devenu mortifère, celui de la guerre civile.
Les mots-repères, que l’artiste utilise dans ses compositions pour questionner et capter le regard, se surajoutent dans leur véhémence inquiète et vaine aux signes explicitement agressifs qui percutent la toile. L’œuvre D’un linceul à l’autre, réalisée en 1999 en exil à Marseille, comme plusieurs de ces portes de l’enfer, prolonge le témoignage sur ces années de plomb. Les longs rectangles qui entourent le personnage hébété se succèdent, alignés comme autant de linceuls, surmontés de mots en tifinagh, en arabe, en français, expression pathétique du désarroi et de l’omniprésence de la violence et de la mort.