Carole Dagher, Fatima El-Hajj ou le bonheur serein de peindre.
À peine a-t-on franchi le seuil de la galerie Claude Lemand, rue Littré, que les couleurs des jardins de Fatima el-Hajj font éclore sur les lèvres un sourire de bien-être. Pour sa première exposition parisienne, la talentueuse artiste libanaise a frappé fort en empruntant aux saisons de son pays leurs tonalités vives, à son village de Rmeileh toute sa convivialité, à la nature avec ses arbres et ses fleurs son sens de l’harmonie, et en nappant le tout d’une fraîcheur d’âme étonnante, dans un style de maître. L’ensemble donne l’impression d’une farandole de gaieté, comme une affirmation personnelle de la nécessité d’être heureux.
Les Jardins de l’âme, thème de l’exposition, se déclinent dans le jaune des champs de marguerites (Une promenade), le rouge vif des sentiments amoureux (À bientôt), dans le blanc des maisons de Tanger ou le marbre d’une sculpture au fond d’un jardin, en bleu de nuit orné d’une note de musique qui fait danser le tableau (Nocturne) ou dans les jeux de vert inspirés par la ville de Tétouan, au Maroc.
Souvent en grand format, à l’huile comme à l’acrylique, ses toiles retiennent l’ébauche des formes humaines. La femme y est comme esquissée, absorbée dans la lecture ou la rêverie. Femme nue, à peine suggérée, se fondant dans la nature. « Dans ma peinture, la femme est libérée du mensonge, dépouillée de tout artifice », explique Fatima el-Hajj. Authentique, sincère, comme sa peinture. L’œuvre de cette artiste, qui travaille directement sur inspiration, est une quête de sérénité. Son jardin est d’abord un jardin intérieur, reflet direct de son jardin aménagé devant son atelier à Rmeileh. « J’aime refléter dans mes toiles l’harmonie de la nature », dit-elle simplement.
Dans le mariage de ses couleurs et l’ambiance de ses tableaux, il y a un peu de Vuillard et de Bonnard, deux peintres qu’elle admire. L’influence de l’école française est indéniable, en dépit d’un diplôme de l’Académie des beaux-arts de Leningrad qu’elle a décroché en sus de ses diplômes à l’Institut des beaux-arts de l’Université libanaise et de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. L’impressionnisme ainsi que le fauvisme et le pointillisme de Seurat ont certainement laissé leurs traces dans le cursus de Fatima el-Hajj, mais c’est surtout au peintre libanais et parisien Shafic Abboud qu’elle tient à rendre un hommage particulier, à travers l’exposition en cours. « Shafic Abboud a été mon professeur à l’Université libanaise. C’était un homme généreux, qui n’hésitait pas à partager sa technique et ses connaissances en tant qu’artiste. Un être humain exceptionnel », souligne-t-elle. Quelques toiles où se fondent les couleurs du parc de Montsouris rappellent l’atelier du peintre, comme un clin d’œil complice et reconnaissant de celle qui fut son élève. Et l’artiste poursuit sa création sur sa propre voie, à la fois originale et riche de ses apports extérieurs.
Dans sa captation singulière de la lumière et des couleurs, Fatima el-Hajj introduit un souffle très libanais, celui du partage, de l’amitié, symbolisés par l’heure du café, la sieste, la visite des voisins, le déjeuner champêtre. Et l’on se prend à rêver de ce bonheur au quotidien que Fatima el-Hajj fait revivre sous son pinceau, comme pour conjurer la frénésie et l’inquiétude du monde qui nous entoure. « Je suis une fille du village, où les amis et les voisins ont gardé des liens chaleureux, précise-t-elle. Notre vie au Liban, c’est ça, pas l’autre, celle qu’on veut nous imposer, faite de tensions et de conflits. » Elle refuse la guerre et ce qu’elle engendre, même sur le plan de l’art. Fatima el-Hajj est convaincue que la vocation de l’artiste est d’apporter du bonheur. Pari tenu.
(Carole Dagher, L’Orient Le Jour)