Khaled Takreti. Flowers of Life .
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’I realize that flowers appear in my work every time an important event occurs in my life. This time the event is global and more than important, it is vital. It’s an urgency for me to color my days and participate in my own way to give positive energy to others. A colorful and silent prayer for the living and for the deceased.’ (Khaled Takreti, 28.03.2020)
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Colette Khalaf, L’Orient Le Jour, le 28 septembre 2021.
Avec ses douleurs, Khaled Takreti crée des fleurs
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Ses toiles garnissent les cimaises de la galerie Claude Lemand (France) jusqu’au 7 octobre, mais c’est dans son atelier de Beyrouth, où il est de passage, que nous avons rencontré l’artiste peintre.
Il flotte un air d’intemporalité dans cette maison/atelier que les objets et leur âme habitent. À chaque passage, lors de ses visites à sa maman malade, Khaled Takreti leur insuffle de nouveau la vie. Et toutes ces toiles accrochées au mur, telles des gardiennes d’un temps passé, s’animent. « J’ai pu créer mon univers familial grâce à la peinture alors que mes parents étaient toujours absents. C’est celle-ci qui m’a permis de survivre. » Après un cursus en école d’architecture, Khaled Takreti, qui dessinait en parallèle « parce qu’(il) aimai(t) crayonner », sentant que c’est la voie qu’il voulait prendre, achèvera bien plus tard des études académiques de peinture. « Ma première série de fleurs remonte à la période qui a suivi le décès de ma grand-mère qui m’avait élevé comme une maman », confie-t-il.
Un être en marche
Après avoir sombré dans une sorte de mutisme et de profonde tristesse, Takreti se réfugie dans la peinture. Sa grand-mère, dont il n’arrivait toujours pas à faire le deuil, et qui était la seule source d’amour dans sa vie, sera (omni)présente dans une galerie de portraits qu’il accomplit. Ce n’est donc pas le profil féminin qu’il recherchera à travers son œuvre picturale, mais bien la figure maternelle qui lui a été arrachée. « C’est elle qui a finalement créé l’artiste en moi », dit-il. Outre les différents portraits de femmes (toujours en grand format), sa toile sera témoin, à plusieurs époques de sa vie, d’une floraison abondante. « En 1996, je réalise une grande exposition florale suivie en l’an 2000 par un autre corps de travail exposé au Centre culturel français de Damas. Des fleurs certes, d’apparence, mais qui représentaient plutôt la famille comme l’ont si bien noté certains critiques d’art. » Plus tard, l’artiste prend conscience que chaque événement douloureux de sa vie se traduit par des fleurs, d’où ces toiles actuellement exposées à la galerie Claude Lemand, fruit du travail réalisé durant le confinement.
Une floraison à chaque fois différente
« Ces fleurs m’ont accompagné durant la solitude de mon confinement à Bruxelles. Une période dure que j’ai ressentie avec violence et tristesse. Et comme j’aime peindre ce que je vois devant moi, j’ai peint mon jardin pour mon propre plaisir, sans imaginer que le résultat allait plaire. J’avais besoin, poursuit-il, de déverser ma douleur quelque part. Je l’ai mise dans mon environnement. » À sa manière, avec les armes qu’il connaît bien, le pinceau, les teintes et la toile, Khaled Takreti résistait à l’envahisseur, à savoir le Covid. Sauf que ces fleurs-là ne sont pas exubérantes ou flamboyantes comme celles qu’il a peintes auparavant. Ses fleurs 2.0 sont fines, discrètes, par moments fragiles. Que ce soit dans L’olivier ou dans Mon amie la rose, les détails ne sont pas laissés au hasard, mais bien observés et reproduits dans les plus infimes détails.
L’artiste en perpétuel renouvellement n’aime pas à se répéter même s’il traite du même sujet. Il ose. Oser déconstruire ce qu’il peint, oser aller au-delà de l’œil pour toucher la sublime âme des êtres et de la nature, telle est sa gageure. « La peinture c’est moi, si je n’y mets ma sincérité alors à quoi sert-il de peindre ? » lance-t-il.
Takreti n’est pas simplement un peintre qui reproduit ce qu’il observe, mais un créateur d’émotions, de formes et d’autres images. S’il lui arrive de changer les couleurs, c’est parce qu’il les voit non avec l’œil, mais avec le cœur. « L’humain est plus important que le cerveau. L’artiste ne doit pas trop réfléchir, mais se laisser aller à son instinct, dit-il en citant l’artiste syrien Fateh el-Moudarress. Si j’ai l’expérience et le savoir-faire, alors je n’ai qu’à faire confiance à mon instinct et à me laisser guider. » Tantôt mélancolique et tantôt en dérision totale par rapport au monde qui l’entoure, Takreti, un être libre de toute contrainte, roule comme sur cette toile où il s’est représenté un jour sur son vélo. Il fonce droit devant. En dépit des départs et des arrachements multiples qui ont jalonné sa vie et qui ont forgé sa personnalité d’artiste (l’abandon de son père, la mort de sa grand-mère ou la maladie de sa mère, mais aussi l’exil du Liban à l’âge de onze ans puis de la Syrie…), Khaled Takreti ne regarde plus en arrière. « Toute ma vie, je cherchais ma place. Tant dans ma famille que dans un pays auquel j’aurai voulu appartenir. Aujourd’hui, mes toiles sont comme mes enfants, ma famille. J’y ai trouvé refuge et elles me réconfortent. »
Khaled Takreti n’a plus besoin de reconnaissance. Outre ses fleurs de confinement qui occupent la galerie Claude Lemand jusqu’au 7 octobre, l’artiste fait partie de la grande exposition Lumière du Liban à l’Institut du monde arabe. L’être en exil, grâce à ses œuvres éclectiques, a enfin trouvé sa place.