Mohammed KHADDA - ALGERIA MY LOVE - Exhibition.

From 20 to 30 June 2022 - Institut du monde arabe

  • KHADDA, Afrique avant 1.

    Afrique avant 1, 1963. Oil on canvas, 65 x 81 cm. Donation Claude & France Lemand 2018. Museum, Institut du monde arabe, Paris. © The Estate of Mohamed Khadda. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • KHADDA, Sahel sous le vent.

    Sahel sous le vent, 1989. Oil on canvas, 89 x 116 cm. Donation Claude and France Lemand 2018. Museum, Institut du monde arabe, Paris. © The Estate of Mohamed Khadda. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

Mohamed KHADDA (Algeria, 1930-1991)

(After Emilie Goudal)

Né en 1930 à Mostaganem, le peintre et graveur Mohamed Khadda aura aussi été, avec Jean Sénac, l’une des plumes les plus pro­lifiques pour penser une his­toire de l’art en Algérie, au rythme des impul­sions des indépen­dances. On lui doit d’avoir entrepris, tant dans ses écrits théoriques que dans sa pra­tique, de libérer la créa­tion en Algérie de passés con­flictuels ou ensevelis. Son par­cours pose les bases d’un art, à rebours de la vision colo­niale et ori­en­tal­iste, aspi­rant à « la désal­ié­na­tion de l’homme » dans une per­spec­tive marx­iste, tout en évitant les écueils iden­ti­taire ou essen­tial­iste et avec la volonté de « sortir les artistes du ghetto ».

Né dans une famille très pauvre, Khadda est ini­tiale­ment formé aux métiers de l’imprimerie, qu’il exerce dès 1944. Il débute par­al­lèle­ment l’aquarelle et le dessin en auto­di­dacte, suivant un enseigne­ment de dessin par cor­re­spon­dance.

En 1953, il se rend avec son ami Abdellah Benanteur à Paris et y con­solide sa for­ma­tion. Il y découvre une pro­duc­tion, inac­ces­sible en Algérie, d’œuvres de l’Abstraction lyrique de jeunes artistes regroupés autour de leur maître Roger Bissière, mais aussi la pein­ture de Nicolas de Staël, qui aura une influ­ence impor­tante dans son esthé­tique. Avant ces ren­con­tres, ses recherches étaient fig­u­ra­tives, avec des com­po­si­tions proches du cubisme. A son retour de France, en 1963, Mohamed Khadda est devenu un artiste non fig­u­ratif, s’employant tout autant à l’aquarelle qu’à la gravure. Mais c’est bien la pein­ture à l’huile qui prendra une place majeure dans son œuvre.

L’essor de la non-fig­u­ra­tion, mais aussi les références à la cal­ligra­phie, évoquée par cer­tains artistes, con­for­tent le jeune peintre algérien dans ce choix. Entre (re)décou­verte d’un passé silencié et affir­ma­tion d’une « moder­nité » ancrée dans une cir­cu­la­tion de références élargies, il impulse dès lors de nou­veaux Éléments pour un art nou­veau, titre de l’un de ses écrits de 1972. Par-delà la lec­ture d’un engage­ment de sa pein­ture dans l’illus­tra­tion de la réalité de la guerre d’indépen­dance, c’est bien par la fac­ture d’une expres­sion émancipée de l’art pic­tural res­sourcé que l’artiste engage un tour­nant, dans la con­cep­tion d’une pro­duc­tion ancrée depuis l’Algérie. Cette nou­velle gram­maire visuelle, cet Alphabet libre - titre d’une œuvre de 1954 -, que le cri­tique d’art Jean Sénac qual­ifie d’École du Noûn, est à la con­flu­ence du poten­tiel libéra­teur de la matière pic­turale, de la lettre arabe, du signe comme éléments catal­y­seurs et non dog­ma­tiques, d’une puis­sance de l’image pic­turale non fig­u­ra­tive et pleine­ment con­tem­po­raine, car (re)située et aux prises avec le présent.

De retour en Algérie en 1963, Khadda sera actif dans la con­sti­tu­tion même d’espaces poli­tiques struc­turants pour les arts en Algérie. Il est membre fon­da­teur de l’Union nationale des arts plas­tiques (Unap) fondée en 1964, va, hors le musée, au-devant des publics en par­tic­i­pant à des fresques col­lec­tives, en usine et en milieu rural notam­ment, en réal­isant des décors de pièces de théâtre, en sig­nant l’illus­tra­tion de nom­breux ouvrages et affiches, dont celle du premier Festival panafricain d’Alger (1969).

Mohamed Khadda est décédé en 1991 ; mais la recherche textuelle et visuelle « têtue » qu’il a engagée con­tinue à baliser des chemins de tra­verse. (Re)décou­vert au XXIe siècle par une his­toire de l’art, pensée dans une per­spec­tive mon­di­al­isée, il fait pénétrer à rebours dans le dis­cours cri­tique une prise de parole visuelle et textuelle des artistes marginal­isés par les récits de la moder­nité occi­den­tale. Il est aujourd’hui inscrit dans des expo­si­tions et pub­li­ca­tions inter­na­tionales sig­ni­fica­tives, qui réin­ter­ro­gent les fron­tières de la moder­nité artis­tique.
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- Afrique avant 1, 1963. Huile sur toile, 65 x 81 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Dans Afrique avant 1, on peut voir dans la struc­ture brune en arrière-plan une vision métonymique d’un totem anthro­po­morphe et graphique, proche de la lettre. Cette figure de second plan, qui fait résol­u­ment écho à la figure cen­trale d’une affiche de 1969, n’est pas sans évoquer la stat­u­aire tra­di­tion­nelle africaine, tout autant que la gra­phie murale des pein­tures rupestres du Tassili n’Ajjer. Les ocres et les bruns, gamme chro­ma­tique référen­tielle des fresques préhis­toriques, encrent l’œuvre d’une aura émanant des deux fig­ures cen­trales, cer­clées d’une terre rouge d’Afrique. Une figure anamor­phique blanche se super­pose au premier totem-stat­u­aire africain, sem­blant incliner son visage vers le ciel et évoquer un détail de l’une des fig­ures hurlantes de Guernica. Mais en l’obser­vant dans son ensemble, on pour­rait aussi y voir une évocation d’une figure qui marche, à moins que la danse des éléments frag­mentés qui la com­posent ne sug­gère la frénésie d’un mou­ve­ment du présent ancré au sol. Cette non-fig­u­ra­tion déroute, mais aussi trans­porte vers une con­stel­la­tion de sources dont le titre Afrique avant 1 nous indique une tem­po­ralité et un espace situé ouverts.

- Psalmodie pour un olivier, 1977. Huile sur toile, 65 x 92 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Mohamed Khadda a beau­coup tra­vaillé dans ses œuvres le motif de l’olivier. Le sujet évoque irrémé­di­a­ble­ment un enracin­e­ment méditer­ranéen, mais revêt aussi pour l’artiste « la genèse (…), la nais­sance des signes et de l’écriture que je pro­pose ». Psalmodie pour un olivier, écho à l’expo­si­tion de 1971 « Sur l’Olivier », reprend le rythme incan­ta­toire des signes électriques et tranchés du geste restitué par la matière, et le principe d’une com­po­si­tion con­trastée des couleurs entre le blanc, le rouge et les ocres, auxquels vien­nent s’adjoindre des couleurs froides bleutées. Ici, le tracé noir du geste pic­tural emprunte les chemins struc­turels d’une esthéti­sa­tion de la cal­ligra­phie du koufi. Traversant l’axe diag­onal du cadre, les noirs et les rouges alliés sem­blent lutter avec la masse fusion­nelle d’une forme poly­morphe blanche, ponc­tuée de rehauts jaunes, striés d’ocre. Les traits sont tantôt courbes, tantôt tran­chants, mais tous électrisés par la lumière et le rythme. C’est un emboîte­ment négo­ciant, dans une cer­taine vio­lence, un espace scandé de lignes ver­ti­cales ter­reuses et encerclé d’un bleu marin. La lutte des éléments imbriqués est ici man­i­feste, dans un paysage psalmod­ique trans­figuré.

- Sahel sous le vent, 1989. Huile sur toile, 89 x 116 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
La car­togra­phie cal­ligraphique du sen­sible dont témoigne Sahel sous le vent montre le dia­logue encore fécond entre Khadda et les travaux de Nicolas de Staël, par l’arrière-plan struc­turé de la fonc­tion spa­tiale des couleurs. Il y développe une esthé­tique a priori abstraite, mais con­crète­ment ancrée dans un espace situé d’un Sahel, traversé en son centre par un vent de signes let­trés, vision d’une con­flu­ence entre aridité du désert et ponc­tu­a­tion de végé­taux ver­doy­ants, inondé de chaleur et de lumière. Les trois lignes frag­men­taires d’amon­celle­ment de formes cubiques parais­sent traduire le reflet d’un mirage, d’un miroite­ment vaporeux de la lumière sur les dunes ver­doy­antes. Dans le reg­istre supérieur, une ligne d’horizon chamarrée d’une zone bleutée souligne l’espace entre ciel et terre. Cet horizon est répété en échos par des lignes noires ciselées, scan­dant le reg­istre inférieur d’un rythme d’ondu­la­tions sablon­neux, restitué par le mou­ve­ment des traits posés.

- Ensemble de 35 gravures numérotées et signées par l’artiste. © Don de Jawida Khadda - Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Copyright © Galerie Claude Lemand 2012.

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