Mohammed KHADDA - ALGERIE MON AMOUR - Exposition.

Du 19 au 30 juin 2022 - Institut du monde arabe

  • KHADDA, Afrique avant 1.

    Afrique avant 1, 1963. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Donation Claude & France Lemand 2018. Musée, Institut du monde arabe, Paris. © Succession Mohamed Khadda. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • KHADDA, Sahel sous le vent.

    Sahel sous le vent, 1989. Huile sur toile, 89 x 116 cm. Donation Claude et France Lemand 2018. Musée, Institut du monde arabe, Paris. © Succession Mohamed Khadda. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

Mohamed KHADDA (Algérie, 1930-1991)

(D’après Emilie Goudal)

Né en 1930 à Mostaganem, le pein­tre et gra­veur Mohamed Khadda aura aussi été, avec Jean Sénac, l’une des plumes les plus pro­li­fi­ques pour penser une his­toire de l’art en Algérie, au rythme des impul­sions des indé­pen­dan­ces. On lui doit d’avoir entre­pris, tant dans ses écrits théo­ri­ques que dans sa pra­ti­que, de libé­rer la créa­tion en Algérie de passés conflic­tuels ou ense­ve­lis. Son par­cours pose les bases d’un art, à rebours de la vision colo­niale et orien­ta­liste, aspi­rant à « la désa­lié­na­tion de l’homme » dans une pers­pec­tive marxiste, tout en évitant les écueils iden­ti­taire ou essen­tia­liste et avec la volonté de « sortir les artis­tes du ghetto ».

Né dans une famille très pauvre, Khadda est ini­tia­le­ment formé aux métiers de l’impri­me­rie, qu’il exerce dès 1944. Il débute paral­lè­le­ment l’aqua­relle et le dessin en auto­di­dacte, sui­vant un ensei­gne­ment de dessin par cor­res­pon­dance.

En 1953, il se rend avec son ami Abdellah Benanteur à Paris et y conso­lide sa for­ma­tion. Il y décou­vre une pro­duc­tion, inac­ces­si­ble en Algérie, d’œuvres de l’Abstraction lyri­que de jeunes artis­tes regrou­pés autour de leur maître Roger Bissière, mais aussi la pein­ture de Nicolas de Staël, qui aura une influence impor­tante dans son esthé­ti­que. Avant ces ren­contres, ses recher­ches étaient figu­ra­ti­ves, avec des com­po­si­tions pro­ches du cubisme. A son retour de France, en 1963, Mohamed Khadda est devenu un artiste non figu­ra­tif, s’employant tout autant à l’aqua­relle qu’à la gra­vure. Mais c’est bien la pein­ture à l’huile qui pren­dra une place majeure dans son œuvre.

L’essor de la non-figu­ra­tion, mais aussi les réfé­ren­ces à la cal­li­gra­phie, évoquée par cer­tains artis­tes, confor­tent le jeune pein­tre algé­rien dans ce choix. Entre (re)décou­verte d’un passé silen­cié et affir­ma­tion d’une « moder­nité » ancrée dans une cir­cu­la­tion de réfé­ren­ces élargies, il impulse dès lors de nou­veaux Éléments pour un art nou­veau, titre de l’un de ses écrits de 1972. Par-delà la lec­ture d’un enga­ge­ment de sa pein­ture dans l’illus­tra­tion de la réa­lité de la guerre d’indé­pen­dance, c’est bien par la fac­ture d’une expres­sion émancipée de l’art pic­tu­ral res­sourcé que l’artiste engage un tour­nant, dans la concep­tion d’une pro­duc­tion ancrée depuis l’Algérie. Cette nou­velle gram­maire visuelle, cet Alphabet libre - titre d’une œuvre de 1954 -, que le cri­ti­que d’art Jean Sénac qua­li­fie d’École du Noûn, est à la confluence du poten­tiel libé­ra­teur de la matière pic­tu­rale, de la lettre arabe, du signe comme éléments cata­ly­seurs et non dog­ma­ti­ques, d’une puis­sance de l’image pic­tu­rale non figu­ra­tive et plei­ne­ment contem­po­raine, car (re)située et aux prises avec le pré­sent.

De retour en Algérie en 1963, Khadda sera actif dans la cons­ti­tu­tion même d’espa­ces poli­ti­ques struc­tu­rants pour les arts en Algérie. Il est membre fon­da­teur de l’Union natio­nale des arts plas­ti­ques (Unap) fondée en 1964, va, hors le musée, au-devant des publics en par­ti­ci­pant à des fres­ques col­lec­ti­ves, en usine et en milieu rural notam­ment, en réa­li­sant des décors de pièces de théâ­tre, en signant l’illus­tra­tion de nom­breux ouvra­ges et affi­ches, dont celle du pre­mier Festival pana­fri­cain d’Alger (1969).

Mohamed Khadda est décédé en 1991 ; mais la recher­che tex­tuelle et visuelle « têtue » qu’il a enga­gée conti­nue à bali­ser des che­mins de tra­verse. (Re)décou­vert au XXIe siècle par une his­toire de l’art, pensée dans une pers­pec­tive mon­dia­li­sée, il fait péné­trer à rebours dans le dis­cours cri­ti­que une prise de parole visuelle et tex­tuelle des artis­tes mar­gi­na­li­sés par les récits de la moder­nité occi­den­tale. Il est aujourd’hui ins­crit dans des expo­si­tions et publi­ca­tions inter­na­tio­na­les signi­fi­ca­ti­ves, qui réin­ter­ro­gent les fron­tiè­res de la moder­nité artis­ti­que.
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- Afrique avant 1, 1963. Huile sur toile, 65 x 81 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Dans Afrique avant 1, on peut voir dans la struc­ture brune en arrière-plan une vision méto­ny­mi­que d’un totem anthro­po­mor­phe et gra­phi­que, proche de la lettre. Cette figure de second plan, qui fait réso­lu­ment écho à la figure cen­trale d’une affi­che de 1969, n’est pas sans évoquer la sta­tuaire tra­di­tion­nelle afri­caine, tout autant que la gra­phie murale des pein­tu­res rupes­tres du Tassili n’Ajjer. Les ocres et les bruns, gamme chro­ma­ti­que réfé­ren­tielle des fres­ques pré­his­to­ri­ques, encrent l’œuvre d’une aura émanant des deux figu­res cen­tra­les, cer­clées d’une terre rouge d’Afrique. Une figure ana­mor­phi­que blan­che se super­pose au pre­mier totem-sta­tuaire afri­cain, sem­blant incli­ner son visage vers le ciel et évoquer un détail de l’une des figu­res hur­lan­tes de Guernica. Mais en l’obser­vant dans son ensem­ble, on pour­rait aussi y voir une évocation d’une figure qui marche, à moins que la danse des éléments frag­men­tés qui la com­po­sent ne sug­gère la fré­né­sie d’un mou­ve­ment du pré­sent ancré au sol. Cette non-figu­ra­tion déroute, mais aussi trans­porte vers une cons­tel­la­tion de sour­ces dont le titre Afrique avant 1 nous indi­que une tem­po­ra­lité et un espace situé ouverts.

- Psalmodie pour un oli­vier, 1977. Huile sur toile, 65 x 92 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
Mohamed Khadda a beau­coup tra­vaillé dans ses œuvres le motif de l’oli­vier. Le sujet évoque irré­mé­dia­ble­ment un enra­ci­ne­ment médi­ter­ra­néen, mais revêt aussi pour l’artiste « la genèse (…), la nais­sance des signes et de l’écriture que je pro­pose ». Psalmodie pour un oli­vier, écho à l’expo­si­tion de 1971 « Sur l’Olivier », reprend le rythme incan­ta­toire des signes électriques et tran­chés du geste res­ti­tué par la matière, et le prin­cipe d’une com­po­si­tion contras­tée des cou­leurs entre le blanc, le rouge et les ocres, aux­quels vien­nent s’adjoin­dre des cou­leurs froi­des bleu­tées. Ici, le tracé noir du geste pic­tu­ral emprunte les che­mins struc­tu­rels d’une esthé­ti­sa­tion de la cal­li­gra­phie du koufi. Traversant l’axe dia­go­nal du cadre, les noirs et les rouges alliés sem­blent lutter avec la masse fusion­nelle d’une forme poly­mor­phe blan­che, ponc­tuée de rehauts jaunes, striés d’ocre. Les traits sont tantôt cour­bes, tantôt tran­chants, mais tous électrisés par la lumière et le rythme. C’est un emboî­te­ment négo­ciant, dans une cer­taine vio­lence, un espace scandé de lignes ver­ti­ca­les ter­reu­ses et encer­clé d’un bleu marin. La lutte des éléments imbri­qués est ici mani­feste, dans un pay­sage psal­mo­di­que trans­fi­guré.

- Sahel sous le vent, 1989. Huile sur toile, 89 x 116 cm. © Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.
La car­to­gra­phie cal­li­gra­phi­que du sen­si­ble dont témoi­gne Sahel sous le vent montre le dia­lo­gue encore fécond entre Khadda et les tra­vaux de Nicolas de Staël, par l’arrière-plan struc­turé de la fonc­tion spa­tiale des cou­leurs. Il y déve­loppe une esthé­ti­que a priori abs­traite, mais concrè­te­ment ancrée dans un espace situé d’un Sahel, tra­versé en son centre par un vent de signes let­trés, vision d’une confluence entre ari­dité du désert et ponc­tua­tion de végé­taux ver­doyants, inondé de cha­leur et de lumière. Les trois lignes frag­men­tai­res d’amon­cel­le­ment de formes cubi­ques parais­sent tra­duire le reflet d’un mirage, d’un miroi­te­ment vapo­reux de la lumière sur les dunes ver­doyan­tes. Dans le regis­tre supé­rieur, une ligne d’hori­zon cha­mar­rée d’une zone bleu­tée sou­li­gne l’espace entre ciel et terre. Cet hori­zon est répété en échos par des lignes noires cise­lées, scan­dant le regis­tre infé­rieur d’un rythme d’ondu­la­tions sablon­neux, res­ti­tué par le mou­ve­ment des traits posés.

- Ensemble de 35 gra­vu­res numé­ro­tées et signées par l’artiste. © Don de Jawida Khadda - Donation Claude et France Lemand. Musée de l’IMA.

Copyright © Galerie Claude Lemand 2012.

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