NAJIA MEHADJI - DESSINER DES FLEURS.

Du 1er avril au 25 mai 2019 - Espace Claude Lemand

  • MEHADJI, Fleur de grenade.

    Fleur de grenade, 2003. Craie sanguine sur papier, 57 x 76 cm. Collection privée. © Najia Mehadji. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

  • MEHADJI, Fleur de grenade.

    Fleur de grenade, 2003. Craie sanguine sur papier, 120 x 80 cm. Donation Claude & France Lemand. Musée, Institut du monde arabe, Paris. © Najia Mehadji. Courtesy Galerie Claude Lemand, Paris.

NAJIA MEHADJI - DESSINER DES FLEURS.

Fleur de gre­nade.
« Mon his­toire avec la fleur de gre­nade a com­mencé à Tétouan en octo­bre 1995, à l’occa­sion de la réa­li­sa­tion d’un livre mêlant gra­vu­res et poé­sies sur le thème du végé­tal, avec l’écrivain Pascal Amel. C’était la saison des gre­na­des et, le livre ter­miné, j’ai eu envie de faire une série de gra­vu­res sur cuivre à partir de la gre­nade. J’avais remar­qué sa pré­sence dans les armes de la Province de Tétouan ou encore dans les tissus locaux comme les ten­chîfa du XVIIIe siècle. J’ai pris de nom­breu­ses photos de ces fleurs dont le rouge ver­millon pres­que fluo­res­cent me rap­pelle les pein­tu­res d’Uccello à Urbino en Italie. Ce sym­bole, qui remonte à l’Antiquité (on en trouve déjà dans les bas-reliefs égyptiens), se per­pé­tue dans les minia­tu­res per­sa­nes, en Inde, en Chine et sur­tout dans le bassin médi­ter­ra­néen. La pein­ture ita­lienne du XVe siècle l’a sou­vent repré­sen­tée ainsi que les natu­res mortes hol­lan­dai­ses du XVIIe siècle.

Ayant moi-même une double culture, j’ai tou­jours été fas­ci­née par les trans­for­ma­tions et les influen­ces d’une civi­li­sa­tion à une autre et par ce qui les relie. Cette sym­bo­li­que uni­ver­selle de la gre­nade est le signe que l’art tra­verse le temps et les fron­tiè­res et que la repré­sen­ta­tion d’un fruit ou d’une fleur peut dire autant sur la per­cep­tion et l’humain qu’un dis­cours phi­lo­so­phi­que. Pourquoi tant d’atten­tion à une chose aussi infime, fra­gile et éphémère ? Peut-être jus­te­ment à cause de ces carac­té­ris­ti­ques qui rejoi­gnent la pré­ca­rité de la condi­tion humaine ; mais aussi, sans doute, à cause des ana­lo­gies avec la créa­tion de l’œuvre elle-même, avec les dif­fé­ren­tes étapes de sa ges­ta­tion, ses trans­for­ma­tions, ses bifur­ca­tions, ses éclosions, son mou­ve­ment interne qui par­ti­cipe d’un éternel renou­vel­le­ment, en quête de tou­jours plus de lumière. »
(Najia Mehadji, Note d’ate­lier, 2005)
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Pivoine.
« J’ai com­mencé à tra­vailler sur cette fleur au début de la mala­die de mon père en 2001 et jusqu’à son décès en 2003, au mois de mai, à la période de la flo­rai­son des pivoi­nes. Elles évoquent le temps qui s’écoule, la vitesse de la lumière, l’éclair de leur beauté. Au prin­temps, je les dis­pose fraî­che­ment cou­pées dans l’eau le matin ; elles devien­nent plei­ne­ment épanouies le soir, et le len­de­main pres­que fanées. Je pho­to­gra­phie leur évolution, elles m’invi­tent à faire le deuil, mais plus lar­ge­ment elles me per­met­tent d’évoquer l’éphémère de la vie, de notre pas­sage sur terre, notre rela­tion à l’uni­vers. »
(Najia Mehadji, Entretien avec Florence d’Ist, pour l’expo­si­tion Être ainsi, Manoir de Martigny, Suisse, 2011)
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Dessin.
« La trace et la ligne expri­ment le temps (la durée), un peu comme les cernes de crois­sance d’un tronc d’arbre ; la main et la pensée se lais­sent entraî­ner dans un rythme néces­saire à son dérou­le­ment et le dessin montre ainsi les étapes de sa ges­ta­tion dans un mou­ve­ment vers l’expan­sion, la dila­ta­tion, le volume. Il est essen­tiel dans mon tra­vail, tant sur papier que sur toile. Mes pein­tu­res sont en réa­lité de grands des­sins à la craie réa­li­sés dans une ges­tuelle phy­si­que et men­tale ; ce sont des cons­truc­tions flui­des qui créent un lien entre le cos­mi­que et l’humain, le spi­ri­tuel et le sen­si­ble. »
(Najia Mehadji, Note d’ate­lier, 2005)
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Dessin.
« Le dessin, c’est essen­tiel » affirme Najia Mehadji, dont les formes arbo­res­cen­tes se déploient en de puis­san­tes struc­tu­res dans un rap­port d’opti­mi­sa­tion maxi­male à l’espace. Dessinées dans la matière même à l’aide d’épais sticks de craie, celles-ci sont faites de traits conti­nus qui décou­pent l’espace et dont la qua­lité de flux confère à l’image une dyna­mi­que pro­pre­ment vitale. « Pour des­si­ner un arbre, il faut monter avec lui » recom­man­dait Matisse à ses élèves. C’est ce que fait l’artiste dans cette façon de méta­phore où le trait se sub­sti­tue à la sève qui monte pour donner vie à l’œuvre et que conforte l’usage de la san­guine. Le monde du vivant auquel réfère d’emblée les des­sins de Mehadji se double d’une mesure cons­truite qui acte un rap­port éminent à l’archi­tec­ture dans ses fon­de­ments arché­ty­paux et que sanc­tionne l’atten­tion toute par­ti­cu­lière que prête l’artiste à la lumière. D’où ce sen­ti­ment d’être face à la nais­sance de quel­que chose, propre au dessin même, en ce moment unique où la forme émerge.
(Philippe Piguet, texte pour l’expo­si­tion À ten­sion, fort fra­gile, Vitry-sur-Seine, 2002)

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