TRIBUTE TO BEIRUT - Salâmun li Bayrût - KHALED TAKRETI.
« Le beau visage de Beyrouth ne va jamais disparaître ! »
OLJ / Propos recueillis par Colette KHALAF, le 20 janvier 2021
Vous participez à cette exposition « Hommage à Beyrouth », organisée par France et Claude Lemand, et qui comprend plusieurs artistes. Votre travail pictural témoigne d’un lien organique avec le Liban et notamment avec sa capitale, bien que vous soyez considéré comme le chef de file de la peinture arabe et syrienne contemporaine. Comment décrivez-vous ces rapports ?
Je suis né au Liban et le premier deuil dans ma vie s’inscrit à l’âge de 12 ans, quand j’ai dû quitter ma maison à Beyrouth, mon quartier et le Liban à cause de la guerre civile de 1975. J’avais le cœur déchiré ce jour-là, mais je savais qu’un jour j’allais retourner chez moi à Beyrouth. Mes parents se sont mariés au Liban, ma grand-mère et mon grand-père y sont enterrés et la maison de mon enfance est toujours la même à Beyrouth où ma mère (dont la mère biologique est libanaise) réside actuellement. Elle vit dans cette maison depuis son mariage et j’y ai grandi. J’ai toujours fait des allers-retours à Beyrouth, car la moitié de ma vie, avant mon émigration, était divisée entre les deux pays, le Liban et la Syrie. Quant à ma mère, elle représente mon lien le plus solide avec le Liban. J’y allais tous les deux mois (avant le confinement) et je résidais chez elle, dans la même chambre où j’ai grandi. Les Frères maristes de Beit Méry, les boutiques de Zahar pour acheter des vêtements, les boutiques de Donald Duck pour acheter les jouets, la pâtisserie Dandy pour les bonbons et les glaces, autant de souvenirs d’enfance qui m’ont toujours accompagné en grandissant. J’aime ce pays.
Cette grande exposition-vente caritative a été lancée par Claude et France Lemand au lendemain de la catastrophe du 4 août 2020, qui a laissé une grande cicatrice dans votre cœur. Vous avez été invité à en faire partie. Cette déchirure se traduit-elle dans votre travail par de la noirceur ou par de l’espoir ?
Je suis originaire de deux pays qui ont eu leurs grandes blessures et leurs bouleversements : le Liban et la Syrie. Le 4 août a été un choc de plus dans ma vie. Comme il l’a été pour le reste de la planète. Certes, nous sommes encore en deuil car l’explosion a détruit notre ville et notre âme aussi. Les cœurs étaient brisés plus que les vitres de la ville. C’est un grand choc car tout ce qui est matériel peut être réparé sans laisser des marques, mais pas l’humain. Cette grande catastrophe a laissé des stigmates en nous. Mais j’ai appris à toujours me relever tout comme le Liban qui renaît toujours de ses blessures. Il y a donc un espoir qui circule dans l’âme des œuvres de cette exposition. Une sorte de prière par la peinture pour un Liban fort et beau.
Vous pensez que ce beau visage du Liban que vous avez voulu transmettre disparaîtra un jour ?
Jamais ! Ce beau visage de la ville de Beyrouth ne va jamais disparaître. Car la ville est faite par les Libanais, un peuple éduqué, cultivé, qui aime la vie et qui a le don de savoir vivre. Je suis sûr que comme à chaque fois, il est capable de survivre et de trouver la bonne solution pour se recréer encore une fois. Il ne faut surtout pas oublier que le monde entier aime le Liban et le soutiendra. C’est un pays qui a beaucoup de charme et ses admirateurs sont nombreux partout dans le monde. Je suis fier de dire que je viens du Liban. Certes, il a traversé des périodes difficiles mais malgré tout, il reste l’oxygène du Moyen-Orient.