Zoulikha BOUABDELLAH (Algeria-France-Morocco, born in 1977)
(According to Anissa Bouayed)
“ From her beginnings, with the video Dansons (2003) and its tight framing on the belly of an oriental dancer making the coins of her blue-white-red finery jingle to the rhythm of La Marseillaise, the visual artist and videographer Zoulikha Bouabdellah has imposed as a follower of "soft-transgression". She is exhibited today in the most prestigious museums and galleries, and several prizes have crowned her research and achievements, which all echo her political and social concerns and her position as a "passenger" between the worlds in which she evolves. The one who grew up in Algiers in an environment dedicated to art and culture, before coming to France at the age of 16 with her family, under the threat of Islamist terrorism, now lives and works between France and the Maghreb, striving to pool singularities and cultural differences and to share them, without departing from this duality between expected and happened, already at work in Dansons.”
Si son installation Silence, élaborée en 2008 et présentée en 2015 en région parisienne, avait fait polémique, car l’artiste y mêlait tapis de prière et objets considérés comme profanes (des escarpins au profil très « féminin »), révélant les tensions qui traversaient la société française dans le contexte post-attentats, c’est ce besoin de dialogue que l’artiste avait fait valoir dans sa réponse. Et quand elle donne à voir son héritage culturel arabo-musulman (usage de la calligraphie, de l’art décoratif arabe,…), ce n’est pas dans une logique de repli identitaire ou binaire, mais au contraire dans le but de traduire, par le langage plastique, le récit des mobilités contemporaines, qui mettent en contact cultures et populations de tous les horizons. Parmi ses thèmes favoris, l’usage des mots arabes tels que hobb « amour » s’inscrit dans une recherche qu’elle mène depuis 2007, poursuivie sur plusieurs années en de multiples variations sur différents supports : métal, bois, plaque de lave, néon, papier. Présentées dans diverses régions du monde, des œuvres telles que LOVE Bleu Blanc Rouge ou Mirages rappellent l’apport de la culture et de la langue arabe à la culture universelle.
L’art de Zoulikha Bouabdellah est un moyen non-neutre de parler de notre monde, d’en contester certains aspects, de vouloir le transformer - un art transgressif, dont on retrouve l’intentionnalité dans des œuvres dénonçant des situations longtemps considérées comme normatives, comme la question du genre ou celle de la place faite aux femmes dans l’ordre patriarcal dominant. Ainsi, dans des travaux récents tels que ses derniers assemblages faits à la laque monochrome sur papier, Zoulikha choisit une énonciation « en suspens » et travaille sur le non-dit, comme le suggère Le Sommeil, ou encore Europe (Hommage au Liban, 2020), dont elle brosse le portrait telle une femme puissante, prête à terrasser le taureau qui la saisit ; un message de résistance, mais une œuvre en fragments, au tracé instable, qui suggère aussi l’idée que cette affirmation de soi n’est pas encore totalement acquise.
Ses dernières œuvres témoignent d’une attention soutenue aux œuvres de l’histoire de l’art européen pour les activer, les faire parler à nouveau, aujourd’hui, non pas du passé mais du présent, en les regardant à partir d’intentions esthétiques et politiques actuelles. Non que l’artiste ait abandonné l’autre pan de sa création, qui puise dans sa culture musulmane les éléments qu’elle remodèle selon ses objectifs créatifs. Mais elle s’attelle à la construction d’une œuvre ample, qui témoigne dans son évolution même, dans la multiplicité des centres d’intérêt et l’élargissement des thématiques, d’une conscience à l’échelle du monde.
Zoulikha Bouabdellah, Le Sommeil (Hommage à Gustave Courbet), 2016-2019. Laque rouge sur huit papiers, 160 x 280 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA.
Dans Le Sommeil, le tracé suit les courbes de deux corps. Le trait est inachevé, suspendu, sa couleur rouge monochrome nous renvoie au sang, symbole de vie et au rouge sensuel du plaisir charnel, que la pose amoureuse des deux corps noués dans le sommeil sublime, conservant cette belle manière de Courbet d’évoquer le plaisir féminin et le saphisme dans le contexte social rigoriste qui était le sien. Zoulikha enjambe les siècles pour signifier que les questions du contrôle social sur les femmes ne sont pas encore réglées et met en place ce dispositif parcellaire qui nous fait mentalement nous souvenir de l’œuvre citée dans son intégralité, alors qu’elle ne propose que des morceaux de corps, organisés autour d’un centre vide, qui nous happe comme dans un vertige et éveille en nous un refus du morcellement.
Zoulikha Bouabdellah, Envers Endroit, 2016. Vidéo sur deux écrans, 6 minutes. Couleur et son, création de l’artiste. © Donation Claude et France Lemand 2021. Musée de l’Institut du monde arabe.
Envers Endroit prolonge la réflexion de l’artiste sur la place des femmes dans l’histoire de l’art, comme miroir de leur place dans la société de leur temps. Par un procédé de collage, elle « redessine » de façon dynamique trois tableaux emblématiques : Les Trois Grâces de Raphaël (1503-1505), Gabrielle d’Estrée et une de ses sœurs de l’Ecole de Fontainebleau (1594-1595) et Olympia de Manet (1863). Dans un dispositif visuel complexe, qui tranche avec la simplicité de ses dispositifs antérieurs et s’égrène au rythme lent d’une mélopée arabe, s’entremêlent trois histoires qui se dédoublent dans le diptyque, révélées et cachées dans un jeu de présence/absence. Le film, en proposant une version contemporaine de ces œuvres, en inversant la représentation racialisée de la maîtresse et de sa servante pour Olympia, en délocalisant les récits, en mettant en scène des femmes agissantes, montre que se saisir de l’histoire de l’art n’est pas un culte du passé mais une manière de s’interroger par l’image sur le rôle et la place des femmes dans toutes les sociétés et à toutes les époques.
elle s’attelle à la construction d’une œuvre ample, qui témoigne dans son évolution même, dans la multiplicité des centres d’intérêt et l’élargissement des thématiques, d’une conscience à l’échelle du monde.
Zoulikha Bouabdellah, Le Sommeil (Hommage à Gustave Courbet), 2016-2019. Laque rouge sur huit papiers, 160 x 280 cm. © Donation Claude et France Lemand 2019. Musée de l’IMA.
Dans Le Sommeil, le tracé suit les courbes de deux corps. Le trait est inachevé, suspendu, sa couleur rouge monochrome nous renvoie au sang, symbole de vie et au rouge sensuel du plaisir charnel, que la pose amoureuse des deux corps noués dans le sommeil sublime, conservant cette belle manière de Courbet d’évoquer le plaisir féminin et le saphisme dans le contexte social rigoriste qui était le sien. Zoulikha enjambe les siècles pour signifier que les questions du contrôle social sur les femmes ne sont pas encore réglées et met en place ce dispositif parcellaire qui nous fait mentalement nous souvenir de l’œuvre citée dans son intégralité, alors qu’elle ne propose que des morceaux de corps, organisés autour d’un centre vide, qui nous happe comme dans un vertige et éveille en nous un refus du morcellement.
Zoulikha Bouabdellah, Envers Endroit, 2016. Vidéo sur deux écrans, 6 minutes. Couleur et son, création de l’artiste. © Donation Claude et France Lemand 2021. Musée de l’Institut du monde arabe.
Envers Endroit prolonge la réflexion de l’artiste sur la place des femmes dans l’histoire de l’art, comme miroir de leur place dans la société de leur temps. Par un procédé de collage, elle « redessine » de façon dynamique trois tableaux emblématiques : Les Trois Grâces de Raphaël (1503-1505), Gabrielle d’Estrée et une de ses sœurs de l’Ecole de Fontainebleau (1594-1595) et Olympia de Manet (1863). Dans un dispositif visuel complexe, qui tranche avec la simplicité de ses dispositifs antérieurs et s’égrène au rythme lent d’une mélopée arabe, s’entremêlent trois histoires qui se dédoublent dans le diptyque, révélées et cachées dans un jeu de présence/absence. Le film, en proposant une version contemporaine de ces œuvres, en inversant la représentation racialisée de la maîtresse et de sa servante pour Olympia, en délocalisant les récits, en mettant en scène des femmes agissantes, montre que se saisir de l’histoire de l’art n’est pas un culte du passé mais une manière de s’interroger par l’image sur le rôle et la place des femmes dans toutes les sociétés et à toutes les époques.